Vue d’une tente à l’aube

Comment les équipes de comptabilité fiscale devraient se préparer aux changements découlant du projet BEPS


Pourquoi les équipes de comptabilité fiscale doivent‑elles se préparer à la mise en œuvre du projet BEPS et en quoi les obstacles peuvent varier d’un pays à l’autre?


En bref

  • Les équipes de comptabilité fiscale doivent prévoir les activités parallèles liées à la mise en œuvre du projet BEPS et s’y préparer.
  • La tenue des registres, les exigences en matière de données structurées et une information plus précise seront essentielles.
  • Les autorités fiscales disposeront de plus d’information sur les activités des entreprises mondiales que jamais, ce qui leur permettra de poser des questions différentes et mieux ciblées.

Les grandes entreprises multinationales (EMN) doivent adapter leurs pratiques de comptabilité fiscale à une foule de changements qui entreront en vigueur en 2024. De nombreux pays travaillent actuellement à l’adoption d’un nouvel impôt minimum mondial fondé sur le cadre du Pilier Deux du projet de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (soit le Pilier Deux du projet BEPS 2.0). Plus de 135 juridictions membres ont adhéré au Cadre inclusif du projet BEPS 2.0, dont le régime d’impôt minimum mondial de 15 %.

Les documents de l’OCDE ne sont pas des lois, et les lois locales visant à adopter l’impôt minimum mondial varieront, mais les EMN dont les revenus du groupe sont d’au moins 750 millions d’euros doivent s’attendre à être visées. Certaines EMN ont analysé l’incidence potentielle du modèle de règles pour l’impôt minimum mondial, essayé des modèles pour évaluer les divers choix et régimes de protection, et évalué les exigences en matière de données, de systèmes et de processus du nouvel impôt. D’autres ont attendu avant de prendre des mesures jusqu’à ce qu’un pays adopte le modèle de règles du Pilier Deux, considérant la date de mise en œuvre imminente de 2024 comme une étape beaucoup plus lointaine.

 

Maintenant que la Corée du Sud et le Japon ont adopté l’impôt minimum mondial et que de nombreux autres pays ont adopté des lois pour instaurer l’impôt minimum mondial, les entreprises devraient accélérer leur préparation.
 

« Le report n’est plus une option à la suite de l’adoption de l’impôt minimum mondial par la Corée du Sud et le Japon en décembre 2022, déclare Adam Sweet, leader, Services consultatifs en risque et comptabilité fiscale, second marché, EY Amériques. Les entreprises prennent rapidement des mesures pour comprendre le coût monétaire et les considérations opérationnelles des règles sur l’impôt minimum mondial afin d’être prêtes à en rendre compte dans leurs états financiers. »
 

Bien que les détails de la législation locale en matière d’impôt minimum continuent d’évoluer, les documents du Pilier Deux de l’OCDE fournissent aux entreprises un cadre pour analyser les répercussions et se préparer à d’autres nouveautés législatives.

Le report n’est plus une option à la suite de l’adoption de l’impôt minimum mondial par la Corée du Sud et le Japon en décembre 2022.

Les lois adoptées et les instructions de l’OCDE publiées jusqu’ici font en sorte que plusieurs enjeux de comptabilité fiscale liés à la portée et à l’importance de l’impôt minimum mondial se dessinent. En voici des exemples :

Poser les bonnes questions sur les données, puis élaborer et mettre en œuvre un modèle de calcul

Le Pilier Deux du projet BEPS 2.0 instaure un régime fiscal entièrement nouveau et comprenant des obligations importantes en matière de données. Les EMN devraient se poser les questions suivantes : Quelles nouvelles données sont nécessaires pour calculer l’impôt minimum et se conformer aux exigences du Pilier Deux en matière de déclaration? Avons‑nous accès à toutes les données nécessaires à partir de sources existantes (p. ex. provision pour impôts du groupe, provisions pour impôts prévus par la loi, documents de travail d’observation fiscale) ou avons‑nous besoin de nouvelles sources de données? Voulons‑nous créer des systèmes, des processus et des outils internes pour recueillir les données, effectuer les calculs et ensuite produire les rapports nécessaires ou nous appuierons‑nous sur des outils et le soutien de tiers? Comment les données fiscales peuvent‑elles être utilisées plus efficacement pour l’ensemble des obligations en matière de déclaration afin d’éviter la duplication?

« Il existe assurément des lacunes en matière de données et de processus d’après les évaluations de l’état de la préparation que j’ai réalisées jusqu’à maintenant. La grande question est donc de savoir comment les entreprises comblent les lacunes », se demande Carla Mulherron, directrice, Fiscalité, chez Ernst & Young LLP.

Une évaluation exhaustive de l’état de préparation du Pilier Deux comprend l’évaluation des règles techniques, des exigences en matière de données, des exigences en matière de systèmes et de processus, ainsi que des exigences en matière d’investissement (ressources humaines, technologie et gestion du changement). Lors de l’évaluation des exigences en matière de données, les EMN doivent d’abord tenir compte des divers besoins en matière de déclaration pour le Pilier Deux, dont les suivants :

  • Prévisions pluriannuelles à l’appui de l’analyse et de planification financières et de l’établissement du budget (c.‑à‑d. l’incidence des nouveaux impôts minimums sur les prévisions d’impôt à payer et le taux d’imposition effectif)
  • Taux d’imposition effectif annuel estimé pour les états financiers intermédiaires de 2024
  • Paiements d’impôt minimum estimés pour les divers territoires
  • Provision pour impôts de fin d’exercice 2024
  • Déclaration pays par pays
  • Déclarations de renseignements sur l’impôt minimum et déclarations de conformité fiscale de 2024 (à remplir en 2025 et 2026)

Les divers besoins en matière de déclaration susmentionnés reposent habituellement sur différents ensembles de données, notamment les prévisions des unités fonctionnelles, les prévisions des entités juridiques et les résultats financiers réels pour l’exercice complet. Les EMN devront évaluer la disponibilité, la source, l’exhaustivité, l’exactitude et la capacité de produire et de compiler en temps opportun des données à partir de chaque ensemble de données, découvrant souvent ainsi des lacunes différentes pour chaque ensemble de données. Les EMN devraient prévoir les enjeux liés à l’accès aux renseignements pertinents en temps opportun ainsi que la nécessité de modifier les processus et les flux de travail pour produire de nouveaux renseignements et de réorganiser ces renseignements lorsqu’ils sont disponibles pour produire les divers rapports nécessaires.

« Les services de fiscalité doivent travailler avec les TI, la fonction finance et d’autres intervenants pour harmoniser les changements apportés aux systèmes de déclaration et aux processus de collecte de données afin d’arriver à produire efficacement et avec exactitude des déclarations liées au Pilier Deux. Cette collaboration est généralement longue à mettre en place », ajoute Adam Sweet.

La précision des prévisions d’impôt minimum à payer dépendra de la qualité et de la disponibilité des renseignements servant au calcul des impôts. L’inclusion des « impôts concernés ajustés » dans le calcul du taux d’imposition effectif anti‑érosion de la base d’imposition (GloBE ‑ global anti‑base erosion) obligera les entreprises à prévoir la charge d’impôt exigible et la charge d’impôt différé, ce qui représente un calcul plus détaillé des charges d’impôt prévues que ce que les EMN effectuent lorsqu’elles déterminent le taux d’imposition effectif prévu aux fins des états financiers intermédiaires. À mesure que les résultats financiers réels seront réalisés, la précision du taux d’imposition effectif GloBE et de l’impôt minimum s’améliorera, et lorsque la déclaration de renseignements GloBE sera produite de 15 à 18 mois après la fin de l’exercice, les calculs seront les plus précis.

« La première exigence en matière de déclaration à laquelle les organisations devront se conformer est le calcul des prévisions et des provisions pour impôts du groupe, qui sont assujetties à des seuils de signification ou degrés de précision variables », explique Carla Mulherron.

« À l’instar des déclarations de revenus existantes, les entreprises devront préparer un ajustement entre l’impôt minimum mondial estimé inclus dans la provision pour impôts du groupe et les impôts minimums à payer réels qui sont déclarés aux autorités fiscales pertinentes. Étant donné que la conformité fiscale liée au Pilier Deux peut s’étendre de 15 à 18 mois après la fin de la période de déclaration (fin d’exercice), les calculs de l’impôt minimum se compliqueront davantage par la gestion des calculs de plusieurs exercices simultanément sur plusieurs périodes de déclaration. »

EY a réalisé plusieurs évaluations des répercussions du Pilier Deux pour ses clients. Les objectifs étaient de comprendre les répercussions du Pilier Deux sur les prévisions d’impôt à payer et le taux d’imposition effectif du groupe, ainsi que la mesure dans laquelle l’EMN est prête à se conformer au nouveau régime fiscal aux fins des provisions pour impôts et de l’observation fiscale.

Connaître les nuances des règles du Pilier Deux

Les règles GloBE sont complexes et présentent plusieurs nouvelles notions dans le cadre de l’impôt minimum. Notamment, comme il a été mentionné précédemment, ces règles comprennent la notion d’impôts concernés ajustés pour déterminer le taux d’imposition effectif GloBE et, ultimement, d’un impôt complémentaire. Les règles relatives aux entités à détention minoritaire, au traitement des entités intermédiaires ou d’autres entités transparentes sur le plan fiscal (p. ex., les sociétés de personnes), au traitement des établissements stables, aux régimes de protection et aux ajustements liés à la période de transition présentent des défis supplémentaires à relever lors du calcul de l’impôt minimum. Les EMN doivent comprendre les exigences techniques des règles GloBE pour éviter des impôts à payer imprévus.

Étant donné que, fondamentalement, l’impôt minimum mondial est un calcul à plusieurs éléments, l’interaction des diverses données d’entrée peut donner des résultats imprévisibles. Les EMN pourraient notamment devoir payer un impôt complémentaire dans les juridictions à « haut taux d’imposition » en raison de l’interaction des crédits d’impôt ou autres avantages fiscaux « permanents » avec le rajustement des impôts différés au taux d’imposition minimum de 15 %, ou encore en raison de passifs d’impôts différés qui ne se résorbent pas dans les cinq ans ou de paiements d’impôt exigible qui ne seront pas versés dans les trois ans. En vertu des règles GloBE, même les entités qui subissent des pertes fiscales peuvent être assujetties à un impôt complémentaire. De plus, les règles transitoires ajoutent une plus grande imprévisibilité en refusant certaines déductions dans le calcul du revenu GloBE et mettent progressivement en œuvre l’exclusion de revenus fondée sur la substance pour les salaires et les biens.

Selon Clara Mulherron, le calcul du taux d’imposition effectif GloBE est beaucoup plus complexe que le calcul traditionnel du taux d’imposition effectif que les entreprises préparent couramment pour les déclarations du groupe et les déclarations prévues par la loi. De fait, les nuances dans les règles peuvent donner lieu à des impôts minimums à payer pour les entreprises dont le taux d’imposition effectif du groupe est supérieur à 50 %. Toujours selon elle, pour éviter la mauvaise surprise d’un impôt à payer, les entreprises doivent appliquer de façon méthodique les règles GloBE aux faits et circonstances qui leur sont propres avant de conclure qu’elles sont ou non assujetties à un impôt complémentaire.

Surveillance accrue des rapprochements de comptes d’impôt et de la piste de vérification

Le Pilier Deux entraînera une nouvelle ère de transparence et donnera aux autorités fiscales un accès accru et amélioré à des renseignements qui, dans certains cas, n’existaient pas auparavant. Il sera essentiel de pouvoir effectuer un rapprochement entre les principes comptables généralement reconnus (PCGR) du groupe, les PCGR locaux, les déclarations de revenus locales, les déclarations pays par pays et les déclarations de revenus GloBE.

Les autorités fiscales disposeront de nouveaux renseignements issus du Pilier Deux qui leur permettront de réaliser de nouvelles analyses. « La transparence accrue des déclarations de renseignements GloBE et le calcul de l’impôt minimum mondial permettront aux autorités fiscales d’obtenir plus d’information sur les activités mondiales des EMN. Les entreprises doivent s’attendre à ce que les autorités fiscales posent des questions différentes, mieux ciblées ou plus pointues, sur diverses questions fiscales », explique Adam Sweet.



Résumé

Le Pilier Deux du projet BEPS ne concerne pas seulement la fonction fiscalité, mais toute l’entreprise. Il mettra sous pression la comptabilité fiscale, la trésorerie, la fonction finance, les ressources humaines et le chef du contentieux en plus d’instaurer un nouveau degré de transparence publique. Les entreprises et les équipes de comptabilité fiscale en font déjà beaucoup, et elles peuvent, et devraient, prendre d’autres mesures dès maintenant pour pouvoir relever les défis qui les attendent.


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