Quelle est l’efficacité de la politique en matière d’encouragements?
Le présent rapport porte sur les encouragements discrétionnaires offerts aux entreprises pour établir de nouvelles activités ou pour étendre la portée des activités existantes; il ne tient pas compte des encouragements à pures fins de recherche et de développement (R-D), un élément déterminant de la croissance à long terme pour l’ensemble de l’économie.
Tandis que nous traversons une période de turbulences économiques à l’échelle mondiale, marquée notamment par une récession des marchés, une hausse des taux d’intérêt et un ralentissement des marchés de capital de risque, la mise en place de divers outils de financement gouvernemental et de politiques bien définies est plus importante que jamais pour soutenir l’innovation et l’entrepreneuriat local.
Bien que l’Indice mondial de l’innovation 2022 indique que le secteur canadien de l’innovation arrive au premier rang mondial en ce qui concerne les bénéficiaires de capital de risque, selon le nombre de transactions de capital de risque par milliard de dollars de PIB en fonction de la parité des pouvoirs d’achat, sur une moyenne de trois ans, les dernières activités sur le marché local du capital de risque n’ont pas été encourageantes5.
Selon un récent rapport de l’Association canadienne du capital de risque et d’investissement (CVCA), bien qu’un sommet historique ait été atteint en 2021 pour ce qui est des activités de capital de risque et de capital‑investissement au Canada, sur le plan tant du nombre de transactions que du montant des investissements en dollars, l’année 2022 a été marquée par une baisse de 34 % du total des investissements6.
De manière globale, les activités de capital de risque ont baissé de 35 % par rapport au sommet des investissements enregistré en 20217. Compte tenu de la baisse des activités de capital de risque, le financement octroyé par le gouvernement est plus indispensable que jamais pour la croissance du secteur local de l’innovation, en particulier pour les entreprises en démarrage et en expansion.
La concurrence internationale entre les pays pour attirer les talents et les allocations de R‑D des multinationales a conduit de nombreuses économies à élargir et à diversifier leurs outils de soutien pour attirer les investissements étrangers et encourager l’innovation et l’entrepreneuriat. Bien que le Canada ait appris à mettre en place des mécanismes de soutien il y a des décennies – dans le cadre des activités des programmes de RS&DE et du Programme d’aide à la recherche industrielle (PARI) –, le pays dispose à l’heure actuelle d’un ensemble relativement limité d’outils de soutien et d’allocations pour les projets de R‑D. Par exemple, parmi les dizaines de programmes de financement disponibles, seuls quelques‑uns apportent un soutien initial aux activités de R‑D, la plupart d’entre eux ciblant des secteurs et des stades de développement très précis.
Avec plus de 45 000 entreprises technologiques en activité au Canada8 et des centaines de nouvelles entreprises créées chaque année, ces fonds pourraient ne pas suffire à soutenir le développement de l’innovation.
Bien qu’il possède l’un des 10 meilleurs écosystèmes pour les entreprises technologiques et les entreprises en démarrage, le Canada se classe au 25e rang mondial pour la croissance des entreprises novatrices (Forum économique mondial 2019)9.En outre, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les dépenses intérieures brutes en R‑D au Canada sont inférieures à la moyenne des pays de l’OCDE, soit 1,69 % contre 2,68 % (2021), et sont en baisse depuis 2001 (2,02 %), alors que d’autres pays ont augmenté leurs dépenses en R‑D depuis, y compris les États‑Unis, la Chine, Israël, la Corée du Sud, l’Allemagne, la Belgique et l’Autriche10.
D’ailleurs, l’Indice mondial de l’innovation 2022 de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) de l’ONU présente deux autres indicateurs connexes témoignant d’un classement relativement bas11. Les dépenses brutes en R‑D réalisées et financées par les entreprises en pourcentage du PIB se classent respectivement au 28e et au 40e rang de l’indice mondial.
De plus, selon la même source de données, le Canada se situe au 67e rang en matière de flux d’investissement direct étranger en pourcentage du PIB (OMPI 2022)12.Ces indicateurs peuvent être un signe possible pour les décideurs qui travaillent à la création d’une croissance économique axée sur l’innovation dans le pays.
Les données tirées du guide Worldwide R&D Incentives Reference Guide d’EY, publié chaque année, indiquent que le Canada offre une variété d’encouragements et de mesures de soutien aux entreprises locales pour favoriser leur croissance au moyen de divers outils et mécanismes13.Parmi ceux‑ci figurent les subventions et les prêts en espèces, les mesures d’amortissement accéléré des actifs de R‑D, l’abaissement des taux d’intérêt, les crédits d’impôt et les congés fiscaux. Toutefois, il n’existe aucune méthode claire pour évaluer le rendement d’un encouragement et déterminer s’il a effectivement eu les répercussions attendues.
Comme il a été mentionné en 2011 dans le rapport Innovation Canada : Le pouvoir d’agir (aussi connu sous le nom de « rapport Jenkins »), il y a un « manque d’outils adéquats pour effectuer des évaluations de l’efficacité relative des programmes. De ce fait, il n’y a pas assez de données sur lesquelles se fonder pour effectuer une réaffectation régulière et systématique des ressources entre les programmes, de façon à offrir le soutien à l’innovation comportant le meilleur rapport coût‑bénéfice. »
Pour véritablement évaluer l’efficacité des encouragements et, par la suite, évaluer la politique d’innovation dans son ensemble, il est essentiel de mettre en œuvre une approche d’analyse globale, laquelle est plus facilement réalisable si des résultats mesurables sont recensés dès le début des programmes d’encouragements et gérés tout au long de leur cycle de vie. Une telle stratégie structurée et la capacité de mettre en œuvre des étapes clés en fonction des résultats pourraient favoriser la croissance axée sur l’innovation dans le secteur canadien.
Selon nos observations et après avoir passé en revue les politiques d’encouragement des principaux pays qui ont été en mesure de générer des changements et une croissance considérables au fil du temps, il semble que le succès découle d’un effort coordonné entre les diverses parties prenantes, s’articulant autour d’une politique intégrée combinée à des capacités de haute performance.
Par le passé, les gouvernements fédéral et provinciaux ont omis de mettre en place une approche coordonnée pour répondre aux défis du secteur et assurer la prospérité de l’écosystème de l’innovation. À titre d’exemple, il est intéressant d’examiner la politique d’innovation adoptée en Israël – le pays membre de l’OCDE où les dépenses intérieures brutes en R‑D sont les plus élevées –, où les dépenses en R‑D correspondent à 5,44 % du PIB, en hausse depuis 2001 (4,18 %).
En 2016, afin d’assurer le leadership du secteur israélien de l’innovation technologique sur les marchés internationaux, l’Autorité israélienne en matière d’innovation, une toute nouvelle entité légale. Le but était de mettre sur pied une autorité en matière d’innovation dont les activités seraient plus rapides, plus efficaces et plus efficientes.
Le principe fondamental de l’Autorité israélienne en matière d’innovation repose sur le partenariat entre le gouvernement et les entreprises. Le conseil reflète non seulement le point de vue du gouvernement, mais également celui des entreprises, qui sont le public cible de l’autorité, par l’entremise des représentants publics du secteur au sein du conseil. Cette structure permet d’assurer un encadrement efficace et pertinent des besoins sectoriels ainsi que la promotion des priorités gouvernementales.
Les initiatives comme celle de l’Autorité israélienne en matière d’innovation profitent à plusieurs vecteurs de développement de l’écosystème technologique, notamment le niveau de développement des regroupements et la profondeur de l’écosystème technologique. Selon l’Indice mondial de l’innovation14, bien que le Canada occupe une place élevée dans le palmarès mondial pour le nombre d’ententes de coentreprise et d’alliance stratégique et le nombre d’ententes de collaboration en R‑D entre des universités et des entreprises – soit respectivement les première et neuvièmeplaces –, le Canada se classe au 19e rang mondial sur le plan du développement de regroupements.
La collaboration internationale en R‑D est un facteur clé des investissements en innovation. Le Programme canadien de l’innovation à l’international (PCII) aide les entreprises canadiennes à entreprendre des collaborations internationales en R‑D avec des partenaires étrangers, notamment le Brésil, la Chine, l’Inde, Israël et la Corée du Sud. Toutefois, les budgets sont limités et les appels de propositions sont assez rares. Néanmoins, il est nécessaire d’envisager d’élargir les mécanismes de soutien afin qu’ils permettent d’encourager l’innovation et la collaboration dans l’industrie et avec des partenaires à l’étranger.
De toute évidence, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada peuvent faire davantage pour encourager le développement d’un écosystème plus vaste, la collaboration et l’amélioration des marchés financiers afin de soutenir l’un des piliers clés de la croissance économique en stimulant l’innovation et la productivité et en accélérant ces processus. Un soutien gouvernemental plus coordonné pour le développement de ces écosystèmes pourrait maintenant voir le jour. Par exemple, un certain nombre de fabricants d’équipement d’origine (FEO) mondiaux du secteur de l’automobile (notamment, Volkswagen, General Motors, Honda, Ford, Stellantis et LG) ont récemment reçu un soutien important de l’Ontario, par l’intermédiaire de son fonds d’investissement, et du gouvernement fédéral, par l’intermédiaire du Fonds stratégique pour l’innovation, afin d’établir ou d’agrandir leurs installations et usines de fabrication en Ontario. Cette démarche a entraîné la création d’une zone concentrée de capacités élevées de fabrication de pointe et de R‑D dans le sud de l’Ontario, ce qui a donné lieu à la création de milliers d’emplois directs et indirects.
De récentes annonces du gouvernement fédéral laissent aussi présager des changements favorables. Le ministère des Finances du Canada a tout d’abord annoncé, dans le budget de 2022, un examen du programme de RS&DE. Plus précisément, le gouvernement y annonçait son intention d’examiner si des modifications aux critères d’admissibilité étaient justifiées pour améliorer l’efficacité du programme. Le budget de 2022 indiquait également que le gouvernement envisagerait la création d’un régime privilégié de brevets visant à encourager le développement et le maintien de la propriété intellectuelle au Canada. Le budget de 2023 indiquait que l’examen du programme se poursuivait et que les parties prenantes étaient mobilisées dans le cadre du processus d’examen.
De plus, le budget de 2022 présentait pour la première fois le plan du gouvernement visant à établir la Corporation d’innovation du Canada (CIC). Le budget de 2023 a mis en lumière le plan du gouvernement fédéral de présenter un projet de loi visant à créer l’entité et d’instaurer un certain nombre de nouvelles mesures d’encouragement prenant la forme de crédits d’impôt remboursables « verts ». Bien que le processus de mise sur pied puisse sembler lent, cette nouvelle société d’État pourrait être la première étape d’un effort d’encouragement mieux coordonné au Canada.
Dotée d’un budget initial de 2,6 millions de dollars, la CIC a pour mandat d’accroître les dépenses en R‑D des entreprises canadiennes dans tous les secteurs et toutes les régions du Canada et de contribuer à la création de produits et de processus nouveaux et améliorés qui soutiendront la productivité et la croissance des entreprises canadiennes.
En plus d’élaborer et de mettre en œuvre des programmes de financement et de fournir des services consultatifs, la CIC devrait également intégrer certains programmes de financement clés existants (p. ex., le PARI) et venir compléter d’autres programmes fédéraux, y compris le Fonds stratégique pour l’innovation et les agences de développement régional15 Bien que son mandat ne mentionne pas la coordination avec les programmes provinciaux, il s’agit assurément d’un pas dans la bonne direction pour simplifier et renforcer le contexte des encouragements au Canada.
Il est encourageant de voir que des efforts plus coordonnés commencent à être déployés pour atteindre des objectifs communs qui bonifieront davantage les encouragements. C’est par cette approche plus globale que les chances de relever les défis actuels et à venir, d’atteindre les cibles de croissance et d’accroître la compétitivité se multiplieront.
Grâce à un effort coordonné et à un organisme capable d’entreprendre, de promouvoir et de coordonner des activités horizontales, le Canada pourrait être en mesure de progresser dans l’atteinte de ses objectifs en matière de promotion de l’innovation et de la productivité. Si la CIC peut synchroniser les budgets des programmes d’encouragements fédéraux et les indicateurs de rendement en vue d’optimiser les résultats de ces programmes, le Canada pourrait maximiser la capacité du gouvernement à réaliser une croissance axée sur l’innovation.