Theo Yameogo : Bienvenue, Zain! En tant que leader national des Services de juricomptabilité pour le secteur des mines et métaux, tu connais bien les tendances actuelles en juricomptabilité et ce que peuvent faire les sociétés minières. J’ai hâte de t’entendre à ce sujet.
Zain Raheel : Merci, Theo. Je suis ravi d’être ici pour en discuter.
Theo Yameogo : Entrons dans le vif du sujet. Pour commencer, parle-nous des tendances qui touchent la juricomptabilité dans le secteur des mines et métaux.
Zain Raheel : Avec plaisir. Le point positif, c’est que le secteur des mines est plus en vue que jamais. Dans le contexte inflationniste actuel, on observe sans surprise un mouvement vers l’or, l’argent et d’autres métaux précieux. Par ailleurs, l’économie verte engendre une demande énorme pour les métaux et les minéraux destinés aux batteries. Le secteur des mines est donc plus populaire que jamais. Or, en période favorable, des gens essaient parfois d’en profiter.
Il peut s’agir d’incidents isolés ou multiples. Prenons par exemple un incident isolé qui a été lourd de conséquences. Après avoir été récemment soumise à l’examen d’un organisme de réglementation mondial, une grande société minière a dû payer une amende considérable parce qu’elle avait, au début des années 2000, retenu les services d’un consultant qui avait interagi avec le gouvernement en son nom.
C’est malheureux, d’autant plus que, depuis les faits, la société a investi beaucoup de temps, d’argent et d’efforts dans son programme de conformité, et elle fait tout pour bien faire les choses. Mais à cause d’une situation passée, elle a dû payer une amende exorbitante.
Ce risque est bien présent lorsque la probabilité d’interagir avec des représentants du gouvernement est élevée, comme dans le secteur des mines et métaux, où l’obtention de droits d’expropriation, notamment, demande de telles interactions.
Prenons maintenant un exemple d’incidents multiples concernant une grande société minière internationale. Selon les allégations, une organisation criminelle aurait exercé des activités en toute impunité sur un site qu’exploitait la société. Il est question de détournement de fonds et d’actifs, de vol de carburant et de tout ce qui était d’une grande valeur.
Sans contrôles ou protocole d’enquête approprié et en présence de collusion entre des individus et les forces de sécurité, ce genre de choses peut arriver. Est-ce le cas partout? Certainement pas. La plupart des sociétés minières sont très bien gérées. Il n’en demeure pas moins que ces risques existent, et qu’il faut en tenir compte.
Theo Yameogo : Très intéressant. En général, les sociétés se situent loin des sites miniers, qui se trouvent dans de nombreux pays différents et des réalités diverses. Qu’as-tu observé à propos de ces activités éloignées, en matière de juricomptabilité?
Zain Raheel : C’est un point très important : pour bien des sociétés minières nord-américaines, leurs actifs ne sont pas à proximité. Ils ont tendance à se trouver dans différents pays, dont les cultures peuvent différer. Bien souvent, les mauvais comportements n’émanent pas de la société elle-même.
Ce sont les tiers avec lesquels elle interagit qui sont à la source du risque. Dans bien des cas, les sociétés disposent de bonnes politiques et procédures. Elles proscrivent formellement le versement de pots-de-vin. dans la conduite de leurs activités Cela dit, le talon d’Achille, c’est la façon dont elles interagissent avec les tiers. Dans beaucoup de dossiers sur lesquels j’ai travaillé, c’est la manière dont ces tiers se comportent en leur nom qui retient l’attention des organismes de réglementation.
Il arrive qu’une société se dégage d’un risque en mandatant un tiers pour agir en son nom. Le tiers doit alors être lié par les mêmes obligations éthiques et morales qu’elle. C’est souvent là le problème. Parfois, le tiers est essentiellement une coquille vide servant à faciliter des actions que la société ne devrait pas faire.
Il s’agit souvent de mauvaises décisions dont le siège social n’est pas nécessairement au courant alors qu’il aurait dû l’être. Les comportements qui, au départ, semblent anodins d’un certain point de vue peuvent prendre l’allure de problèmes extrêmement importants vus sous le microscope d’un organisme de réglementation mondial.
Theo Yameogo : Que peut-on faire?
Zain Raheel : Bien, il existe une multitude de procédures, d’outils et de comportements que les sociétés peuvent adopter pour prévenir de tels problèmes. La société sait-elle à qui elle a affaire, avec qui elle interagit? Elle doit chercher à bien comprendre qui sont les tiers et les fournisseurs avec qui elle traite.
Cela repose en grande partie sur l’exercice d’une diligence raisonnable qui peut différer du contrôle préalable financier standard. Il faut tirer parti du renseignement de sources ouvertes, utiliser les grands réseaux de renseignement, et aller au fond des choses pour bien comprendre avec qui on interagit. L’entreprise avec laquelle le contrat a été signé est-elle vraiment celle avec laquelle il est souhaitable de faire affaire?
Ses activités sont-elles vraiment celles qu’elle prétend? Sont-elles menées aussi rigoureusement qu’il y paraît? L’entreprise est-elle en exploitation dans ce pays depuis très longtemps? Ou n’a-t-elle été établie que pour interagir avec un gouvernement étranger au nom de la société? C’est le genre de questions auxquelles cette dernière doit trouver des réponses.
Par ailleurs, la société peut utiliser les outils et techniques à sa disposition pour exploiter ses ressources en analyse de données et comprendre ce qui se passe sur le plan transactionnel. En effet, si certaines transactions sont réalisées juste au moment où une société obtient un permis d’exploitation minière et que des paiements sont effectués, il y a lieu de se demander ce qu’il en est.
Que sont ces transactions et ces paiements? Comme les systèmes financiers ont tendance à être fragmentés plutôt qu’intégrés, une grande partie du travail doit être effectuée sur le site minier. Il faut donc creuser un peu plus, et adopter une optique juricomptable particulière. Il faut des gens qui ont déjà vu de telles situations à de nombreuses reprises, et qui peuvent analyser les transactions dans leur ensemble pour arriver à tirer le fin mot de l’histoire.
Bien souvent, une transaction ou un paiement ne sont pas des éléments isolés. Il faut voir le tout globalement : qui sont les personnes concernées, pourquoi interagissent-elles, pourquoi les paiements ont-ils lieu, et pourquoi de cette façon? C’est un peu comme maîtriser une deuxième langue, ce qui nous permet, en juricomptabilité, de réunir toutes les données pour les comprendre, les interpréter, les assimiler et les reformuler afin de nous faire une idée de ce qui se passe, pour ensuite pousser plus loin l’investigation.
Theo Yameogo : C’est intéressant; tu as parlé de réseaux et d’IA, entre autres. Nous sommes présents dans différents pays qui ne disposent peut-être pas de la technologie propre à ces domaines. Comment ton équipe utilise-t-elle son outil d’analyse de données par l’IA lorsqu’elle est sur le terrain pour vérifier une réalité qui n’est pas connectée au monde numérique? Comment cela fonctionne?
Zain Raheel : Bonne question. En fait, on ne peut pas se fier uniquement aux données en main, puisque cela reviendrait à toujours observer la question de loin sans pour autant trouver de réponse. C’est en combinant les données et la présence sur le terrain que tout prend forme. Souvent, avant de nous rendre sur un site, nous analysons les données transactionnelles à notre disposition. La plupart des sièges sociaux peuvent nous fournir cette information, pour comprendre ce qui s’y passe, que nous pouvons examiner à l’avance. Mais une fois sur place, c’est le terrain qu’il faut examiner.
Il m’est arrivé de me rendre dans un endroit qui devait être un grand siège social en me fiant à une adresse pour ne trouver rien de plus qu’un vendeur de cellulaires dans un centre commercial. Voilà qui offre rapidement une réponse. Or, en se fiant uniquement aux données et, parfois, aux documents qu’on a sous les yeux, on pourrait conclure que tout va bien.
Comme tu l’as dit, il faut aller sur le terrain et observer, mais aussi faire appel à notre meilleur atout en parlant aux gens de l’équipe locale. Surtout dans le cas d’activités menées ailleurs qu’en Amérique du Nord. Il m’est arrivé souvent de me trouver sur un site où nous avons lancé une vaste enquête, alors que les gens qui nous aidaient disaient : « Quelqu’un aurait simplement pu nous demander ».
Les gens savent, ils voient, et personne n’aime les mauvais comportements. Il y a peut-être un petit nombre de personnes isolées qui en profiteront, mais la grande majorité des gens sont dotés d’un sens éthique. Ils veulent simplement faire leur travail, et bien agir à l’égard de la société et de la collectivité. S’ils sont témoins d’un mauvais comportement, ils veulent pouvoir en parler.
Ceux qui commettent de mauvaises actions tendent à être en position de pouvoir. Il est donc difficile pour quiconque d’éviter la situation, jusqu’à ce que quelqu’un aille sur place et soulève des questions. La volonté de parler est alors très présente. Et une fois qu’ils ont été consultés, les gens de la région contribueront souvent à assembler le casse-tête.
En discutant avec eux, on obtient les dernières pièces à placer pour obtenir la vue d’ensemble évoquée tout à l’heure.
Theo Yameogo : Voyons les choses sous un autre angle. Prenons une société qui t’affirme avoir mis en place un programme de dénonciation, et qui estime donc que ça devrait aller. Que t’a appris ton expérience sur ce type de programmes dans les dossiers sur lesquels tu as travaillé?
Zain Raheel : Je demanderais à la société la fréquence à laquelle la ligne de dénonciation est utilisée. Quelle est la fréquence des appels à la ligne d’éthique? Rappelons que les sièges sociaux se trouvent souvent en Amérique du Nord alors que les actifs sont répartis partout dans le monde. Il existe un livre intéressant intitulé Culture’s Consequences.
On y aborde la façon dont différentes cultures réagissent aux positions de pouvoir, ce qui permet de comprendre que tous ne réagiront pas comme nous le ferions ici en Amérique du Nord. La société a fourni un numéro, et il suffira donc aux gens d’appeler en cas de problème. Non? Pensons à quelqu’un à l’étranger qui n’a jamais rencontré la haute direction du siège social vu l’éloignement, et pour qui la dénonciation ne fait pas partie de la culture nationale.
Dans un tel cas, il faut absolument encourager le recours aux programmes de dénonciation volontaire. Ils peuvent fonctionner, même si c’est différemment d’ici, en Amérique du Nord. Il faut persuader les gens de parler, et non se contenter de leur fournir un numéro à composer en cas de problème, parce qu’ils ne le feront pas.
Or, si personne n’appelle d’un pays en particulier, il y a lieu de se questionner. Il faut d’abord tenter de comprendre si l’absence d’appels indique un problème. Et c’est souvent le cas.
Theo Yameogo : Intéressant. Ça m’amène à voir les activités minières selon deux volets différents.Il y a la gestion de l’exploitation, que tu as abordée, mais aussi les transactions. Comment interviennent les professionnels en juricomptabilité dans chacun des deux volets?
Zain Raheel : Pour ce qui est de l’exploitation, nous nous concentrons plutôt sur les actifs physiques, car ce sont eux qui ont de la valeur et qui, dans bien des cas, peuvent être détournés.
Les actifs miniers sont de grande valeur. Il peut être très lucratif pour une organisation criminelle d’en voler ne serait-ce que quelques-uns. C’est pourquoi nos travaux sont axés sur ces actifs. Nous consacrons du temps à l’analyse de choses physiques, en travaillant avec des ingénieurs sur des échantillons, par exemple.
Nous cherchons ainsi à établir les faits. Dans le volet transactionnel, nos travaux visent à comprendre ce pour quoi des fonds sont versés. Est-ce justifié? Paie-t-on trop cher? Pourquoi a-t-on payé une somme astronomique, si tel est le cas? On nous répond souvent qu’on ne comprend pas les activités.
Elles sont menées dans un endroit éloigné. Il est très difficile d’y faire venir des entrepreneurs. Leurs prix sont très élevés. J’en conviens, ce sont des contraintes. Mais les contraintes de ce genre n’excluent pas que des pots-de-vin aient pu être versés. Mais les contraintes de ce genre n’excluent pas que des pots-de-vin aient pu être versés. Ceux-ci ont tendance à être notables, et à suivre un modèle de paiement à l’utilisation : quelqu’un de l’organisation pourrait ainsi dire que pour travailler à cet endroit, ou même pour figurer sur la liste, il faudra payer.
Il y a les cas de paiements excessifs, et il y a la question de l’interaction avec le gouvernement dont je parlais plus tôt. C’est un véritable talon d’Achille pour les sociétés minières, puisqu’à l’échelle mondiale, et en particulier aux États-Unis, les organismes de réglementation s’en donnent à cœur joie lorsqu’il s’agit de traquer de grandes organisations mondiales qui auraient interagi avec un gouvernement étranger et lui auraient versé un pot-de-vin, et de sévir contre elles.
Une société peut ainsi se voir imposer une lourde amende, pour peu qu’elle ait la chance de ne s’en tirer qu’avec une amende. Si pareille situation peut être très dommageable pour les sociétés, elle peut aussi être très lucrative pour les organismes de réglementation.
Theo Yameogo : Très enrichissant, Zain. Merci d’avoir été des nôtres aujourd’hui.
Zain Raheel : Merci de m’avoir invité, Theo. Je suis ravi qu’on ait pu échanger.