Behnaz Saboonchi : Bonjour. Bienvenue à ce nouvel épisode de Femmes leaders en fabrication. Je suis associée chez EY et j’ai l’immense plaisir de m’entretenir aujourd’hui avec Linda Hasenfratz. Linda, merci d’être avec nous. Nous sommes ravis de vous recevoir.
Linda Hasenfratz : C’est un plaisir d’être ici. Je suis impatiente de discuter avec vous.
Behnaz Saboonchi : Génial, commençons sans plus tarder. Linda, vous êtes une professionnelle influente dans le secteur. Vous vous êtes distinguée en tant que cheffe de la direction de l’année et qu’Entrepreneure de l’année d’EY du Canada et vous êtes décorée de l’Ordre du Canada, entre autres réalisations. Dites moi, où voyez‑vous des possibilités et qu’est‑ce qui vous emballe le plus quant à l’avenir des femmes dans le secteur de la fabrication?
Linda Hasenfratz : Je pense que le secteur de la fabrication connaît actuellement l’une des périodes les plus palpitantes de son histoire, ce qui s’explique simplement par l’évolution du secteur. Nous sommes passés de la fabrication à la fabrication de pointe, ce qui veut dire que nous combinons maintenant des procédés de fabrication traditionnels à des technologies modernes. À bien des égards, le secteur se transforme en un secteur essentiellement technologique dans la mesure où nous exploitons l’immense pouvoir de l’informatique et des capteurs pour en faire plus dans le domaine de l’apprentissage machine et de l’intelligence artificielle et automatiser davantage.
Les emplois sont aussi en pleine évolution, ce qui est particulièrement intéressant pour les femmes. Les grandes transformations dans le secteur donneront lieu à de nouveaux emplois qui, à mon avis, seront très attrayants pour les femmes.
Behnaz Saboonchi : C’est fantastique, Linda! J’aimerais que nous discutions de Linamar, plus précisément des programmes et des initiatives que l’entreprise a mis en place au cours de la dernière décennie. Vous travaillez dans le secteur depuis plusieurs années et, tout au long de votre parcours, vous vous êtes toujours efforcée de redonner aux autres et de partager vos expériences et vos apprentissages, notamment dans le cadre de collaborations avec d’autres organisations axées sur les femmes, telles que Catalyst.
Pourriez‑vous nous parler plus en détail de certains des programmes que Linamar a mis en place, non seulement pour attirer les femmes de talent et accroître leur représentation dans la main‑d’œuvre, mais surtout, pour inspirer les femmes en général et leur donner les moyens de se lancer dans le secteur?
Linda Hasenfratz : Certainement. La diversité et l’inclusion occupent une place importante de notre programme depuis bon nombre d’années, pas seulement en ce qui concerne l’équité entre les genres, mais aussi sur le plan de la diversité ethnique. Nous travaillons à faire en sorte que des gens issus de groupes démographiques variés soient représentés au sein des équipes de direction et à l’échelle de l’organisation. Pour atteindre cet objectif au cours des prochaines années, il faudra d’abord embaucher des milliers de personnes.
Nous devons absolument puiser de la main‑d’œuvre dans l’ensemble de la population et maximiser notre accès au bassin de talents. C’est en partie pourquoi la diversité et l’inclusion sont si importantes. L’autre raison, c’est que les équipes diversifiées sont tout simplement plus performantes. Elles favorisent une meilleure prise de décision, donnent lieu à une plus grande variété de perspectives et génèrent de meilleurs résultats, point à la ligne. Il s’agit donc d’un enjeu très important pour nous.
Curieusement, je crois que la première étape pour atteindre nos objectifs en matière de diversité sera franchie à l’extérieur de l’organisation. Bien entendu, nous faisons beaucoup de choses en interne, mais il est essentiel d’élargir le bassin de talents dans lequel nous pouvons puiser à l’extérieur de l’organisation. C’est dans cette optique que nous travaillons à tous les niveaux dans le secteur des métiers spécialisés, entre autres, pour attirer davantage de femmes.
Nous organisons par exemple des camps d’été pour enseigner les métiers aux filles de 7e et de 8e année. Pour les élèves du secondaire, nous organisons des soirées et des repas auxquels participent des femmes du secteur des métiers qui agissent à titre de mentores auprès des filles pour qu’elles puissent en apprendre plus sur ce secteur et les possibilités qu’il offre.
Les diplômées ont quant à elles accès à un solide programme destiné aux femmes apprenties, lequel vise à augmenter le nombre d’apprenties dans l’entreprise. Actuellement, nous en avons une vingtaine et ce nombre continue de croître. L’éducation est donc un volet très intéressant. Pour ce qui est des études en génie, nous consacrons surtout nos efforts au niveau postsecondaire.
Ainsi, nous avons établi un programme de bourses en collaboration avec l’Ivey Business School de l’Université Western dans le cadre de son programme double en génie et en commerce. Nous appuyons chaque année dix femmes de ce programme. Nous payons la moitié de leurs frais de scolarité, leur offrons des emplois d’été, puis un poste à la fin de leurs études. Cet excellent programme nous a permis de faire la connaissance de plusieurs jeunes femmes extraordinaires.
Depuis ses débuts, il s’est avéré très enrichissant. De façon plus générale, je dirais que l’un des programmes dont nous sommes probablement le plus fiers est « See it. Be it. STEM it. », ou SBS. L’objectif de ce programme est d’encourager plus de jeunes femmes à se diriger dans les métiers et dans tous les domaines des STIM – sciences, technologie, ingénierie et mathématiques – grâce à l’influence de modèles féminins.
Nous avons créé un site Web, seeitbeitstemit.com, où sont déjà répertoriées près de 300 femmes qui font figure de modèles dans tous les domaines des STIM et des métiers. Nous espérons que le programme inspirera des jeunes femmes en leur présentant des modèles à qui elles peuvent s’identifier et les amènera à poursuivre une carrière dans le milieu. Chaque année, nous publions un calendrier mettant en vedette douze des femmes présentées sur le site.
J’adore ce projet, car il nous donne l’occasion de brosser un portrait plus détaillé de ces femmes. Et encore une fois, cela donne aux jeunes femmes une chance de plus de s’identifier à quelqu’un et d’établir un lien. Voilà le concept derrière « See it. Be it. STEM it. » : si on peut le voir, on peut l’être. L’idée est d’assurer une présence dans les salles de classe pour que les jeunes femmes (et les jeunes hommes) puissent chaque mois faire la connaissance d’une femme inspirante du milieu des STIM et en apprendre plus sur toutes les possibilités de carrière dans le secteur puis, je l’espère, s’y diriger lorsqu’elles obtiennent leur diplôme.
Behnaz Saboonchi : Elles sentent qu’il est possible de suivre les traces de ces femmes.
Linda Hasenfratz : Oui, tout à fait. C’est précisément l’objectif, parce qu’on entend souvent qu’il n’y a pas assez de femmes dans tel ou tel autre domaine, alors qu’en fait c’est loin de la réalité. Les chiffres ont évolué au cours des vingt dernières années. Il y a aujourd’hui beaucoup de femmes dans les diverses branches des STIM et dans les métiers spécialisés. Et leur nombre ne fait que croître.
En insistant sur les progrès réalisés, on inspire plus de personnes à emprunter cette voie.
Behnaz Saboonchi : Wow. C’est fantastique! Les initiatives de Linamar dont vous venez de nous parler ouvrent la voie à l’arrivée de talents plus diversifiés dans le secteur. C’est extraordinaire! C’est extraordinaire! J’aimerais maintenant que nous passions à un autre sujet pour parler un peu du Canada. Quelles sont, selon vous, les occasions que le Canada pourra saisir dans le secteur de la fabrication dans l’avenir? Et comment le secteur va‑t‑il contribuer à résoudre certains des problèmes les plus difficiles qui soient? Je pense notamment à l’atteinte de la cible de zéro émission nette et à la stratégie pour la transition énergétique. Que réserve l’avenir au Canada?
Linda Hasenfratz : Je pense que les prochaines décennies sont très prometteuses pour le Canada. Ce sera particulièrement vrai dans le secteur de la fabrication pour plusieurs raisons. L’une d’elles, c’est la propreté du réseau électrique canadien. À mon avis, c’est un énorme avantage concurrentiel, dont nous n’avons pas assez fait la promotion. Plus de 85 % de l’énergie produite au Canada est propre et en Ontario, c’est 94 %.
Ça compte énormément, parce que l’endroit où on fabrique un produit a une incidence sur son empreinte carbone. Ainsi, un produit fabriqué en Ontario ou ailleurs au Canada aura une plus faible empreinte carbone. Cette question aura de plus en plus d’importance avec le temps. On le constate déjà chez les clients, les actionnaires, les bailleurs de fonds et les employés.
Tous sont préoccupés par cet enjeu et ça n’ira qu’en s’accentuant au cours des prochaines décennies. Ce qui place l’Ontario et le Canada en excellente position pour connaître une bonne croissance dans le secteur de la fabrication de pointe. Cela représente d’excellentes possibilités en matière de création d’emplois et de perfectionnement professionnel dans un secteur qui réalise de grandes choses.
Il s’agit d’un secteur où la technologie évolue rapidement, où des innovations voient le jour et où on assiste à des progrès fascinants en matière de produits et de processus. Tout cela aide à faire face aux grands enjeux mondiaux, qu’il s’agisse de s’attaquer aux changements climatiques, de favoriser une production alimentaire durable ou d’assurer l’accès à l’eau partout dans le monde.
Voilà le genre de problèmes que résout le secteur de la fabrication. C’est un secteur où l’on trouve un sens profond à son travail et qui, en prime, offre énormément de possibilités.
Behnaz Saboonchi : C’est aussi un excellent secteur où commencer sa carrière, qui promet un brillant avenir aux diplômées en STIM ou en génie.
Linda Hasenfratz : Exact. Je suis tout à fait d’accord.
Behnaz Saboonchi : Merci de nous avoir fait part de votre expérience, Linda. C’était très instructif. Nous avons discuté des occasions qui s’offrent au Canada et nous nous entendons sur le fait qu’une main‑d’œuvre diversifiée sera un levier essentiel pour que le Canada puisse saisir ces occasions. Nous savons aussi qu’il reste du travail à faire. La représentation des femmes dans le secteur de la fabrication demeure plus faible que dans d’autres secteurs.
Où avez‑vous observé une évolution par rapport à il y a une vingtaine d’années?
Linda Hasenfratz : Bonne question. Il est vrai que la représentation des femmes est légèrement plus basse dans le secteur de la fabrication qu’elle l’est dans l’ensemble des secteurs, mais l’important est de se rappeler à quel point la situation a évolué au cours des vingt dernières années. On approche les 30 % de femmes aujourd’hui. Il y a vingt ans, ce n’était qu’une fraction de ce pourcentage.
C’est fabuleux de constater les changements qui se sont produits au cours de ma propre carrière et à quel point il y a plus de femmes dans le secteur aujourd’hui qu’à mes débuts. De nos jours, il y a beaucoup plus de femmes dans toutes les branches du secteur, de l’approvisionnement à l’ingénierie. On compte également de nombreuses femmes dans des postes de leadership. La cheffe de la direction d’une des plus grandes entreprises automobiles au monde est une femme, une ingénieure soit dit en passant, et elle accomplit un travail remarquable. C’est une réalité qu’on observe de plus en plus. Il ne fait pas de doute que les choses évoluent, et je pense qu’elles vont continuer de progresser en ce sens. C’est très encourageant. À mesure que nous progressons vers la fabrication de pointe et que les emplois deviennent davantage axés sur la technologie, notamment dans le domaine de la programmation, de la logistique et de l’automatisation, le secteur attirera une plus grande diversité de gens.
Behnaz Saboonchi : Tout à fait, mon expérience est similaire. J’ai commencé mes études en génie il y a une vingtaine d’années et depuis, j’ai observé exactement le même mouvement dans la bonne direction.
Linda Hasenfratz : Certainement. Vous savez, les gens disaient toujours qu’il n’y a pas assez de femmes en génie, mais 43 % des étudiants de la faculté de génie de l’Université de Toronto sont des femmes. C’est fantastique, et c’est une statistique dont on ne parle pas assez souvent. On a presque atteint la parité entre les genres dans ce programme. C’est un phénomène qu’on observe dans de plus en plus de domaines.
Behnaz Saboonchi : En effet, nous vivons à une époque passionnante. J’aimerais conclure notre discussion sur une note vraiment positive. Je vous invite à vous projeter dans vingt ans. Où aimeriez‑vous qu’en soient les femmes ou les talents issus de la diversité dans le secteur de la fabrication?
Linda Hasenfratz : J’espère qu’on aura atteint une représentation proportionnelle. C’est notre objectif en interne et ça devrait l’être à plus grande échelle aussi. Je suis persuadée que nous sommes sur la bonne voie. Grâce au chemin parcouru au cours des vingt dernières années, nous sommes actuellement près de 30 % de femmes. C’est plus que la moitié du chemin vers un objectif de 50 %. Nous sommes assurément sur la bonne voie.
L’évolution du secteur de la fabrication va accélérer cet élan et accroître les possibilités pour les femmes. J’attends avec impatience le jour où le secteur disposera d’un grand bassin de talents diversifiés.
Behnaz Saboonchi : J’ai le même rêve et le même souhait. Merci beaucoup d’avoir été des nôtres. Cette conversation a été extrêmement positive, enrichissante et, surtout, inspirante. Merci beaucoup d’être des nôtres. Quelle conversation intéressante!
Linda Hasenfratz : Formidable! Ce fut un plaisir.