85% des emplois de 2030 n’existent pas encore selon une étude publiée par Dell et l’Institut pour le futur. L’intelligence artificielle ou la robotique vont non seulement transformer en profondeur les métiers existants mais en créer de nouveaux¹.
Dans ce contexte, l’identification et la gestion des compétences est un enjeu clé pour les Ressources Humaines de toute entreprise. Pour ce faire, les équipes RH peuvent s’appuyer sur deux pratiques complémentaires : la Gestion prévisionnelle des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP) et le Strategic Workforce Planning (SWP).
Quelles sont les principales différences entre ces deux pratiques ?
Relativement proches, les deux notions sont souvent confondues. La Gestion prévisionnelle des Emplois et des Parcours Professionnels a pour objectif de favoriser l’adéquation entre les besoins du marché et les compétences des collaborateurs. Cet outil vise à faire face aux mutations du monde du travail (organisationnelles, technologiques, économiques, sociaux, juridiques …)². Depuis 2005, le législateur a imposé aux entreprises de plus de 300 salariés ou des groupes communautaires de plus de 150 salariés une obligation de négocier sur le sujet.
Le Strategic Workforce Planning, quant à lui, est une notion assez proche de la Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels qui vise à « avoir le bon nombre de personnes, avec les bonnes compétences, au bon endroit et au bon moment, afin de répondre aux objectifs stratégiques de l’organisation³ ». Le SWP, contrairement à la GEPP, n’est pas soumis à une temporalité réglementaire, l’exercice est en temps réel.
Dans la suite de cet article, nous nous concentrerons sur cette seconde pratique RH : le Strategic Workforce Planning.
Pourquoi le Strategic Workforce Planning (SWP) est-il indispensable à la gestion RH des entreprises ?
Le SWP est une approche prospective qui se veut plus pragmatique que les démarches GEPP, en associant fortement les directions opérationnelles, pour aboutir à des scenarii aux horizons temporels courts. En cherchant à anticiper les besoins, le SWP permet, par le biais d’hypothèses, d’aligner la stratégie RH avec la stratégie de l’entreprise et plus particulièrement :
- D’identifier la nature et la volumétrie des ressources pour prendre en charge les activités à court et moyen terme et ainsi d’adapter les effectifs ;
- De travailler sur les compétences de demain afin d’avoir une réflexion en amont sur les plans de formation, les dispositifs de recrutement mais également sur les mobilités internes et externes, tant professionnelles que géographiques ;
- D’objectiver l’évolution des métiers et des compétences afin de donner une perspective « sincère » sur les emplois et les carrières à court et moyen terme.
La mise en œuvre d’un tel projet est un véritable levier de performance pour l’entreprise.
Comment s’articule un projet de SWP et quelles en sont les principales étapes ?
Une démarche de SWP se déroule en plusieurs étapes.
Tout d’abord, il convient de s’interroger sur la situation actuelle de l’entreprise et d’avoir une vision très précise de ses ressources actuelles pour pouvoir les projeter dans un temps ultérieur. A cet effet, l’instrumentation des démarches GEPP à travers des référentiels emplois/compétences, permet de structurer un langage commun et des caractéristiques aux métiers, préalables très utiles à une approche SWP.
Ensuite, en partant de ces orientations stratégiques et opérationnelles, on peut traduire des scenarii d’évolution en termes de ressources et de compétences. Ce travail prospectif doit être réalisé avec les directions opérationnelles. Il convient de s’appuyer sur des données permettant d’éclairer les besoins business pour cadrer la réflexion.
Une fois ces projections réalisées, on peut alors identifier les écarts quantitatifs et qualitatifs en termes de compétences, d’activités et de volumétrie des ressources.
Enfin, en s’appuyant sur l’analyse des écarts précédemment réalisée, les équipes RH peuvent alors déterminer les besoins et les actions à mener via trois leviers RH de la formation, du recrutement et de la mobilité professionnelle.
Comment favoriser la réussite d’un projet de SWP ?
Un projet de SWP repose en premier lieu sur un cadre méthodologique pragmatique et structurant, il faut être au clair sur les constats et sur les attendus au bout de la démarche. La réussite de l’approche dépend de la mobilisation, l’engagement et de l’association des différentes parties prenantes, mais aussi de la qualité des projections réalisées. L’attelage « fonction RH et fonction business » doit être réussi, les deux acteurs doivent se comprendre, parler le même langage et apporter leurs éclairages (marges de manœuvre RH, besoins business…). Également, plus les projections seront détaillées, plus les scenarii pourront être affinés et la prise de décision facilitée. A ce titre, les données et l’intelligence artificielle auront une influence accrue dans les années à venir pour aider à modéliser les scenarii.
Qu’est-ce qu’un projet de SWP peut apporter à l’entreprise ?
Les bénéfices d’un projet de SWP sont nombreux pour une entreprise :
- Le développement d’une certaine agilité au sein de l’entreprise, facteur essentiel du développement de la performance dans les secteurs fortement concurrentiels, en élaborant des scenarii et hypothèses volontaires par rapport aux analyses prospectives ;
- Une maîtrise des coûts, grâce à l’anticipation des événements à venir au sein de l’entreprise tels que les départs à la retraite des collaborateurs ;
- La construction d’une vision commune en adaptant les politiques RH aux orientations stratégiques et en définitive, une fidélisation accrue des salariés tout en sécurisant les besoins opérationnels ;
- Pour les managers, une perspective claire des bonnes personnes à avoir, au bon endroit, au bon moment avec les bonnes compétences ;
- Pour les collaborateurs, la prise en compte de l’évolution de leurs activités et compétences avec des plans d’actions pour y répondre, permettant ainsi de maintenir l’employabilité et l’intérêt pour les métiers de l’entreprise.
Le point de vue d’EY People Consulting : le SWP pour redonner du poids à la filière RH
Le recul acquis aujourd’hui sur les démarches GEPP nous permet d’identifier ses limites. Devenues un exercice légal obligatoire, nombre de démarches ont abouti au formalisme sans intention avec des référentiels non-utilisés ou des « usines à gaz » dans des démarches trop complexes à mettre en œuvre. Pire encore, parfois instrumentalisées dans le cadre de restructuration sous forme de préalable, la GEPP devient l’arbre qui cache la forêt.
Lorsqu’elle n’est pas discréditée, la GEPP reste un vœu pieux qui peine à trouver une déclinaison concrète et opérante pour l’entreprise du fait de son approche trop légaliste. Le SWP serait-il la panacée ? Rien n’est certain, mais il est l’occasion pour la fonction RH de renouer avec la stratégie d’entreprise.
La fonction RH doit évoluer en transformant son positionnement pour occuper un rôle d’animation et de coordination de ces démarches. Elle doit également transformer ses compétences pour développer sa posture d’expert vis-à-vis du business. Si les DRH ne prennent pas en main le pilotage de démarches SWP en se positionnant comme acteur incontournable de l’entreprise et de sa stratégie, elles seront mises à l’écart des décisions et reléguées à l’exécution de sujets qui sont pourtant leur apanage. Cela suppose d’occuper pleinement le rôle de Business Partner, d’ajuster la vision entre les enjeux macro et micro, d’articuler les projections qualitatives et quantitatives. Devenir l’interlocuteur privilégié des dirigeants et managers, questionner les scenarii d’évolution, tirer parti des données et apporter des solutions concrètes.
En matière de prospective métier, la fonction RH doit aussi se transformer et montrer l’exemple !
Merci à Juliette Cuenot et Pierre-Arthur Costa pour la réalisation de cet article.