Dépenses éligibles et alignées: une définition restreinte à des postes peu représentatifs des charges d’exploitation
En excluant notamment les dépenses énergétiques et la masse salariale, l’indicateur de dépenses opérationnelles (« OpEx ») est souvent restreint à des postes peu représentatifs des charges d’exploitation. Ainsi, 14% des sociétés européennes étudiées ont choisi d’utiliser le principe d’exemption de matérialité¹ prévu dans le règlement. En France, ce ratio monte également à près d’un sur deux pour les grandes entreprises².
Un décalage d’un an accordé aux entreprises financières
Pour l’exercice 2022, les entreprises financières (banques, assureurs, gestionnaires d'actifs et entreprises d'investissement) ont dû pour la seconde année consécutive déterminer la part éligible de leur portefeuille.
La contribution des banques aux objectifs environnementaux de l'UE est mesurée par le ratio d'actifs verts (GAR), c'est-à-dire des actifs alignés sur la taxonomie. Toutefois, pour l'exercice 2022, les institutions financières n'ont déclaré que les actifs éligibles, ce qui reflète la part du portefeuille de crédit et d'investissement ayant un potentiel de contribution aux objectifs environnementaux. L'éligibilité à la taxonomie, basée sur le chiffre d'affaires et les investissements des contreparties est de 26% en moyenne, avec une variation de 0 % à 55 %. L'exposition aux actifs éligibles comprend principalement les prêts immobiliers aux particuliers et les prêts à la consommation pour les véhicules et la rénovation de bâtiments.
La contribution des assureurs aux objectifs environnementaux de l'UE est mesurée à l'aide de deux mesures :
- Les « primes éligibles » reflètent le potentiel de contribution du portefeuille de souscription des assureurs à l'adaptation au changement climatique et sont en moyenne éligibles à hauteur de 48%, comprises entre 2 % et 92 % ;
- Les « actifs éligibles » indiquent le potentiel de contribution du portefeuille d'investissement des assureurs aux objectifs environnementaux et vont de 1 % à 39 %, avec une moyenne de 15 % sur la base du chiffre d'affaires des contreparties.
Les actifs éligibles des banques sont relativement plus élevés que ceux des assureurs (26 % contre 15 % en moyenne). Compte tenu des exigences croissantes en matière de reporting d'alignement à la Taxonomie et de la disponibilité de l'information auprès des contreparties, il est vraisemblable que les chiffres des institutions financières continuent de se fiabiliser.
A partir de 2023, les entreprises financières seront tenues de publier des indicateurs reflétant la part de leur portefeuille alignée avec la Taxonomie, en se basant sur la part du chiffre d’affaires et d'investissements alignés de leurs clients.
A noter qu’une révision du règlement SFDR³ est en cours, devant déterminer le rôle qu’aura la Taxonomie dans la qualification durable ou non des produits financiers.
Une mise en application progressive et un élargissement des entreprises soumises à partir de 2024 à concilier avec les besoins des entreprises financières
Pour l’exercice 2023, les entreprises doivent reporter à nouveau les trois indicateurs taxonomiques complets (éligibilité et alignement) relatifs aux deux objectifs climatiques, ainsi que les indicateurs d’éligibilité sur les quatre autres objectifs environnementaux (ressources aquatiques et marines, économie circulaire, pollution et biodiversité) et les nouvelles activités climat selon les nouveaux tableaux détaillés publiés en juin 2023 (cf. annexe II pour les entreprises non financières modifié par l’acte délégué du 13 juin 2023⁴).
Pour l’exercice 2024, les entreprises devront reporter les indicateurs éligibles et alignés complets, sur l’ensemble des activités des six objectifs environnementaux.
A compter des exercices ouverts après le 1er janvier 2024, ce dispositif sera intégré aux obligations de publication déterminées par la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), publiée le 16 décembre 2022. L’exigence de publication des indicateurs Taxonomie sera donc étendue progressivement aux autres sociétés soumises à la CSRD à partir de 2025, en fonction de la taille et de l’organisation de l'entreprise, selon des modalités qui seront précisées lors des transpositions nationales de la directive européenne, attendue en France en décembre 2023.
Autre conséquence de son intégration dans la CSRD, les informations Taxonomie devront également faire l’objet, d’une vérification indépendante explicite⁵.
Cela rapprochera la France des pratiques déjà observées dans d’autres états membres européens tels que l’Espagne ou l’Allemagne, où la vérification des indicateurs taxonomie est déjà quasiment systématique.
Des difficultés d’alignement liées à la fois à un fort niveau d’exigence de performance environnementale et de complexité de démonstration
La deuxième année de mise en œuvre a confirmé les conclusions du rapport de l'année dernière : les entreprises continuent de faire face à de nombreux défis dans la mise en œuvre du règlement.
Ces difficultés découlent non seulement de la nouvelle obligation pour les entreprises non financières de déclarer la proportion d'activités alignées à la Taxonomie de leurs chiffres d'affaires, dépenses d'investissement et d'exploitation, en complément de leur éligibilité, mais, plus encore, de la difficulté d'interpréter certains critères et de collecter les données et informations techniques et spécifiques nécessaires aux évaluations de l'alignement.
Pour répondre aux interrogations des émetteurs, l'UE a publié en mars et décembre 2022, ainsi qu’en juin 2023 des FAQs qui fournissent des réponses aux questions fréquemment posées concernant les obligations d'information pour les émetteurs, l’application de l'Acte délégué sur le climat et les Garanties Minimales. Les entreprises sont néanmoins soumises à plusieurs défis :
- Des marges d'interprétation : malgré les précisions apportées par la Commission dans les FAQs, des incertitudes ont persisté quant à l'interprétation de certains aspects du règlement sur la taxonomie, menant à des évaluations parfois très disparates au sein de mêmes secteurs ;
- Respect de la contribution substantielle : au-delà du fort niveau d’exigence des critères de contribution substantielle, nécessaire pour assurer la transition de l’UE vers une économie bas carbone, certaines entreprises ont été confrontées à l’absence d’informations suffisantes pour évaluer leur alignement (informations disponibles insuffisamment granulaires, absence de benchmark officiel, absence d’information de la part de tiers) ;
- Evaluation du respect des critères « Ne pas causer de préjudice important », dits DNSH (« Do No Significant Harm ») : quand bien même certains critères DNSH relèvent de règlementations européennes existantes, d’autres sont plus ambitieux et deviennent même un élément limitant l’alignement du fait fort du niveau d’exigence de performance, parfois associé à la difficulté d’obtention de l’information très granulaire demandée, peu suivie jusqu’à présent par les entreprises ;
- Garanties minimales : l'exigence de l'article 18 du règlement a suscité plusieurs doutes quant à ce qui devrait être considéré comme un « minimum » en termes de garanties, en particulier hors Union européenne, dans les pays ou le cadre social est très différent.
On s'attend à ce que la réglementation évolue encore au cours des prochaines années, ce qui obligera également les entreprises à effectuer des évaluations périodiques pour refléter les changements réglementaires.
On notera également que les régulateurs nationaux, dont l’AMF, et le régulateur Européen, l’ESMA, sont particulièrement attentifs à la manière dont les émetteurs appliquent le Règlement Taxonomie en conformité avec les exigences règlementaires et encouragent les entreprises à faire preuve de transparence dans leurs choix méthodologiques et d’interprétation.
Perspectives et évolutions attendues de la Taxonomie
Malgré le défi que constitue pour les émetteurs de publier les informations exigées par la Taxonomie, ces exigences constituent des opportunités au-delà de la conformité :
- Une convergence des pratiques de reporting financières et extra-financière, plus largement permise par la CSRD, permettant d’améliorer le niveau de confiance des parties prenantes ;
- Un accès à des options de financement plus avantageuses, comme les Green ou Sustainable Funds ;
- Une image et réputation positive, attirant des consommateurs, partenaires et investisseurs sensibles aux enjeux environnementaux ;
- Une création de valeur long-terme, plus résiliente ;
- Une meilleure rétention des talents, dans un contexte où les employés valorisent les entreprises s’engageant pour la transition.
Par ailleurs, on peut s’attendre à ce que le type d’arbitrages appliqués au niveau européen entre besoins des émetteurs et ceux des investisseurs dans le cadre de la CSRD aient des implication en matière d’exigences liées à la Taxonomie. Cela pourrait permettre d’envisager une approche plus pragmatique, forte des enseignements des premières années d’application.