Avec la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), le reporting ESG des entreprises est en pleine évolution. Cette directive européenne élève le niveau d’exigence en matière d’ambition, de périmètre ou de qualité de l’information ESG. Elles vont concerner quelques 50 000 entreprises à partir du 1er janvier 2024, soit 4 fois plus que sous la réglementation précédente de la NFRD (Non Financial Reporting Directive)
Le 5ème bilan annuel EY, Medef, et Deloitte du reporting ESG des grandes entreprises françaises fait le point sur les pratiques et les tendances en France relatives à une sélection de nouvelles exigences de la CSRD, identifie des exemples inspirants, mais aussi les principaux défis à venir pour cent grandes entreprises françaises.
La récente publication de la CSRD, ainsi que de son premier set de normes transverses (European Sustainability Reporting Standards - ESRS), annonce sa transposition en droit français pour une entrée en vigueur dès les rapports publiés en 2025 sur les données de l’année 2024 pour les entreprises déjà soumises à la NFRD. Ce 5ème bilan se fonde cette année sur une grille d’analyse comportant certaines exigences de reporting des ESRS.
Double-matérialité, prise en compte de la biodiversité, chaîne de valeur et quantification financière des impacts climatiques : de nombreux défis sont amenés par la CSRD malgré une culture du reporting bien installée
L’étude relève tout d’abord que malgré une culture du reporting ESG bien établie parmi les entreprises en France, ces dernières ont encore des chantiers à mettre en œuvre pour ajuster leurs pratiques à la CSRD. Quatre défis principaux ont été identifiés :
Premier défi : une des grandes nouveautés de la CSRD est le concept de « double matérialité », qui consiste à tenir compte à la fois de l’impact économique ou financier des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance sur l’entreprise ainsi que des impacts de l’entreprise sur l’environnement et les populations (matérialité d’impact). C'est à partir de cette analyse que l'entreprise détermine les sujets matériels sur lesquels elle devra publier les informations de durabilité. Selon l'étude, 14 entreprises sur 100 revendiquent cette nouvelle méthode, 69 entreprises publiant une analyse de matérialité plus classique. C’est un premier chantier que les entreprises devront lancer prioritairement afin de mieux adapter le reste de leur reporting.
Deuxième défi : La CSRD demande aux entreprises d’évaluer avec précision les répercussions financières des risques physiques et des risques de transition liés au climat, ces derniers étant parfois difficilement identifiables. Les standards de reporting visant à renforcer la connexion entre les aspects financiers et extra-financiers, soulèvent des questions cruciales concernant la gouvernance des entreprises et la nécessité de quantifier les conséquences financières, en particulier en matière de changement climatique. Les entreprises doivent analyser ces risques à différentes échéances : court, moyen et long terme, et divulguer leurs plans de transition en expliquant la méthodologie employée.
Troisième défi : Les standards de durabilité exigent également des entreprises qu’elles déclarent des informations sur leurs impacts et dépendances à la biodiversité. Seules 13 entreprises du panel publient des informations relatives à leurs sites situés dans ou à proximité de zones sensibles, et une entreprise y intègre sa chaîne de valeur. Alors que la plupart des entreprises mentionnent la biodiversité comme un enjeu important, on retrouve peu d’éléments d’analyse quantitative dans les rapports annuels 2022. Pour traiter ce sujet émergent, les entreprises pourront s’appuyer sur des référentiels structurés comme la Taskforce on Nature-related Financial Disclosure (TNFD) et le Science Based Target for Nature (SBTN).
Quatrième défi : Les données de suivi des salariés des entreprises déjà reportées avec assiduité par les directions des ressources humaines vont, elles aussi, être transformées par l’intégration des effectifs qui ne sont pas propres à l’entreprise mais aux « non employees », à ses fournisseurs et aux sous-traitants. En effet, la CSRD élargit le périmètre de reporting à des précisions sur certains travailleurs qui ne sont pas directement employés par celle-ci : précisions que toutes les entreprises n’ont pas encore entièrement recensées. Plus largement, la CSRD couvre non seulement le périmètre des opérations des entreprises mais également une part importante de leurs chaînes de valeurs (fournisseurs, sous-traitements).
En dépit de ces défis, quelques entreprises ont pris de l'avance pour répondre aux exigences de la CSRD. Cette anticipation va au-delà de la simple conformité, avec la mise en place de politiques et plans d'action.
Ce 5ème bilan du reporting ESG des entreprises françaises permet également d’identifier les premières bonnes pratiques, liées d’abord aux sujets environnementaux : une majorité d’entreprise présente des engagements climatiques, presque toutes les entreprises du panel ayant publié des objectifs de réduction des gaz à effets de serre. Notablement, 51 d'entre elles ont fixé des objectifs à l'horizon 2030 correspondant aux directives de l'Accord de Paris, et reconnu par la Science Based Target initiative, visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. La quasi-totalité des entreprises ont déjà défini leurs objectifs de réduction, et 17 ont identifié et quantifié leurs différents leviers de décarbonation.
Sur les sujets biodiversité, certaines entreprises industrielles se montrent déjà assez matures en présentant des analyses spatiales de leurs sites proches de zones de biodiversité sensibles, voire en identifiant leurs risques et dépendances liés à la biodiversité ainsi qu’en réalisant un calcul d’empreinte biodiversité.
D’autres bonnes pratiques, liées cette fois aux sujets sociaux, sont identifiées par l’étude : Plus de la moitié des entreprises étudiées publient déjà un indice d’écarts de rémunérations hommes-femmes au niveau consolidé Groupe, en complément des obligations existant déjà dans certains pays européens comme la France. Quelques-unes le découpent selon le niveau de qualification ou présentent les mesures correctrices mises en œuvre. Sur le sujet du salaire décent, 8 entreprises utilisent déjà les référentiels reconnus, tel que Fair Wage, pour publier un indicateur de respect d’un salaire décent, tandis que certaines l’étendent même à leur chaîne de valeur. En effet, l’évolution majeure qu’apporte la CSRD sur les indicateurs sociaux est celle d’étendre le reporting aux effectifs non-salariés. Certaines entreprises industrielles ont déjà incorporé cette exigence dans leurs reporting Santé-Sécurité des Travailleurs (SST), en créant des taux d’accidentologie des collaborateurs sous-traitants.
C’est sur ces bonnes pratiques que les entreprises devront s’appuyer pour anticiper au mieux les exigences de la CSRD, applicable dès l’exercice 2024 pour les entreprises déjà soumises à la NFRD.
Alors que le bilan 2022 soulignait les atouts non négligeables du reporting ESG des entreprises françaises, qui bénéficient d’un historique de 20 années de déclarations, le bilan 2023, actualisé au regard des ESRS récemment publiés, permet d’identifier les grands enjeux à creuser, et d’inspirer à la fois les entreprises soumises dès l’exercice 2024, mais aussi toutes les entreprises (PME cotées, entreprises de plus de 250 salariés) qui suivront.