Le degré actuel de concentration des chaînes d’approvisionnement est un risque majeur pour le développement pérenne de l’industrie des énergies vertes en France et en Europe. La filière solaire photovoltaïque constitue l’exemple le plus critique avec une domination de la Chine sur l’ensemble des segments de la chaîne de valeur internationale. Elle contrôlera 95 % de la production mondiale de polysilicium, de lingots et de plaquettes d’ici 2025.
Face au risque de dépendance géostratégique, plusieurs Etats ont d’ores et déjà mis en place des programmes de relocalisation des chaînes de valeur de production d’énergies renouvelables sur leur territoire. C’est le cas en particulier des Etats-Unis, dont l’Inflation Reduction Act produit déjà ses effets en termes d’attractivité pour des projets de production industrielle (le norvégien Norsun a par exemple annoncé l’installation d’une usine de production de 5GWc/an de lingots et de plaquettes). L’Inde a également affiché de fortes ambitions au travers du Production Linked Incentive (PLI).
La Commission européenne a présenté en février 2023 son plan industriel du Pacte vert, visant à faciliter la relocalisation des industries de la transition énergétique. L’objectif est de simplifier le cadre réglementaire, notamment les processus d’autorisation, faciliter l’accès aux investissements (avec des régimes d’aides modifiés) et développer les compétences. Cette dynamique va soutenir les projets industriels annoncés en France, notamment les projets d’usines de fabrication de cellules et modules photovoltaïques portés par Carbon à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et de Holosolis à Sarreguemines (Moselle). Ces deux projets doivent produire leurs premiers modules dès 2025. Ils doteraient à terme la France d’une capacité de production totale de module PV de 10 GW/an (pour les deux usines), à comparer avec une demande européenne annoncée à +60 voire 80GW/an d’ici 2030 (vs 41,4 GW installés en 2022).
Ces investissements traduisent un nécessaire passage à l’échelle des actifs de production. Les gigafactories de plusieurs GW sont devenues la norme pour assurer la compétitivité des équipements produits en France et en Europe, et tendent à se mettre au niveau des derniers projets chinois (l’usine FuturaSun à Huai’an devrait démarrer un cycle de production de 10 GW/an au printemps 2024).
La réflexion sur de possibles relocalisations s’engagent alors que l’Europe doit investir à court terme dans des volumes significatifs d’équipements pour accélérer le déploiement de ces politiques de décarbonation. Un enjeu de cette transition résidera dans la mise en place de conditions de marché permettant de sécuriser des débouchés pour les équipements Made in Europe, tout en maintenant un accès suffisant aux équipements importés. Cet équilibre devra évoluer au fur et à mesure de la montée en capacité d’une industrie au niveau européen, l’échelle nationale n’étant pas adaptée pour faire émerger des chaînes de valeur compétitive. Par ailleurs, il est important de considérer les chaînes de valeur dans leur ensemble. Une relocalisation limitée au segment aval d’une chaîne (par exemple la production de module photovoltaïque) risque de ne faire que déplacer la dépendance aux segments amont (par exemple les plaquettes ou l’approvisionnement en polysilicium).
Enfin, le recours à des critères de performance sociale et environnementale des produits - valorisant leur empreinte carbone, leur recyclabilité ou le respect des droits humains – contribuera à sécuriser les débouchés de l’industrie européenne. Sur ce point, la mise en place des réglementations sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism ou CBAM) et sur le devoir de vigilance européen vont renforcer les outils à disposition de l’Union européenne.