L’innovation digitale et la simplification des parcours constituent les grands défis d’une deuxième mi-temps à venir
Si l’offre médico-sociale est aujourd’hui riche et permet de prendre en charge les différents types d’usagers (personnes âgées, domicile, personnes en situation de handicap, personnes en difficultés spécifiques, etc.), sa lisibilité et la fluidification des parcours demeurent des enjeux primordiaux, qui soulèvent de nombreux défis. Si nous retraçons le parcours d’un usager ou de son aidant, la première étape consiste à rechercher des information sur l’offre disponible, les conditions d’éligibilité, le coût et/ou le reste à charge, etc. Cela l’amène à se rendre sur une variété de portails d’information nationaux ou locaux mis à sa disposition. Il peut ensuite réaliser une demande d’admission via un téléservice (Module Usager de ViaTrajectoire, MDPH en ligne, Demande d’Aide à l’Autonomie, téléservices des conseils départementaux, etc.). Enfin, il peut éventuellement accéder à ses données de prise en charge et d’accompagnement depuis les portails proposés par les ESMS. Un véritable « parcours du combattant » que ne peuvent entreprendre que des usagers aguerris aux outils numériques !
La première vague du Ségur a permis d’identifier les fonctionnalités principales (agenda, documents de synthèse, etc.) devant être portées par les portails usager proposés par les ESMS, brique intégrante du DUI, pour autant ceux-ci restent encore peu développés. L’articulation et l’intégration de ces portails, dans le cadre d’un parcours plus global, clair, sans rupture d’ergonomie, et surtout sans besoin de réauthentification, est un défi auquel s’attèlent les pouvoirs publics. La place du proche aidant ainsi que des aidants numériques reste également à préciser dans un secteur où les usagers font face à un haut niveau d’illectronisme ou de perte d’autonomie. Il sera plus particulièrement nécessaire de définir les droits pouvant être délégués, ainsi que les modalités de gestion dynamique de cette délégation, par l’usager à son proche aidant (par exemple, la consultation du carnet de liaison) ou à son aidant numérique (par exemple la réalisation d’une tâche administrative au nom de l’usager). La traçabilité des délégations, des données consultées ou des démarches conduites par l’aidant au nom de l’usager représente également un enjeu clé. Dans la mesure où de très nombreuses solutions sont confrontées à ces enjeux de délégation, l’émergence d’une solution nationale de gestion des aidants – et de leurs droits – constitue une opportunité à étudier plus en détails. Elle offrirait une solution digitale lisible et facile d’accès, qui pourrait capitaliser sur de premières initiatives telles que « Ma Boussole Aidant » ou « Aidant Connect », afin que l’ensemble des usagers soient en mesure de déclarer un proche aidant ou un aidant numérique.
Notons toutefois que la simplification des parcours n’est pas uniquement numérique, elle est également (et sans doute prioritairement) organisationnelle, avec une territorialité de plus en plus marquée. Les nombreuses réformes qui se sont succédées en ce sens (i.e. fusion des structures intervenant sur la coordination en Dispositifs d’Appui à la coordination (DAC), fusion des SSIAD et SAAD en SPASAD, création prochaine de services autonomie à domicile et de centres de ressources territoriaux, la préfiguration des Services Publics Départementaux de l’Autonomie (SPDA), etc.) œuvrent pour une simplification et un rapprochement des différentes structures de l’écosystème afin de replacer l’usager au cœur du système et de le rendre acteur de son parcours d’accompagnement et de prise en charge. Ce rapprochement ira de pair avec une amélioration de la coordination, qui pourra bénéficier de nouvelles solutions numériques.
L’innovation digitale – qui se matérialise par le recours à la télésanté, aux objets connectés et à l’intelligence artificielle – peut également contribuer à améliorer la qualité et favoriser la coordination de l’accompagnement. Elle apporte de nombreuses opportunités à tous les stades du parcours d’accompagnement de l’usager : (i) dans le diagnostic de la perte d’autonomie (des premières applications expérimentales utilisant l’Intelligence Artificielle permettent d’automatiser l’analyse des tests de marche et de calculer le niveau de GIR – c’est-à-dire le groupe iso-ressources qui définit le niveau de perte d’autonomie, ou de risque de chute) ; (ii) dans l’accompagnement, via de nombreuses solutions de téléassistance favorisant le virage domiciliaire, ou encore le développement de l’utilisation d’objets connectés pour prévenir – voire réagir à – des évènements adverses tels que la déshydratation ou les chutes, ou encore (iii) dans la coordination professionnelle – avec un partage d’information simplifié et un renforcement de la liaison avec les professionnels médicaux, notamment en utilisant des outils de coordination ou de télésanté.
Si des résultats probants sont observés dans de premières expériences réalisées au sein de structures innovantes et digitalement matures, leur dissémination dans le secteur social et médico-social reste balbutiante (sans parler de leur généralisation), et ce pour un certaines nombre de raisons : elles ne constituent pas encore une « priorité » au regard des faibles capacités d’investissement du secteur, les modèles économiques des solutions innovantes doivent encore faire leur preuve, l’interopérabilité est insuffisamment développée, la fracture numérique est un frein qui touche particulièrement la population d’usagers de ces secteurs, etc.
À cet égard, la puissance publique peut (et doit) encore accentuer son action pour faciliter le partage de données au sein de l’écosystème médico-social et social, favoriser l’intégration de solutions innovantes et optimiser les coûts d’investissement des structures. Une des spécificités du secteur médico-social et social est le grand nombre de structures (plus de 50 000 !) et la diversité des solutions de DUI proposées (plus de 70 !). La mise en conformité des solutions et l’amélioration du partage de données impliquent le développement de plusieurs douzaines d’API dédiées (avec des services socles tels que le DMP et la MSSanté, des services régionaux ou encore des solutions métier au niveau local) qui mobilisent fortement les éditeurs et ont un impact financier important pour les structures. La création d’un orchestrateur de données national – équivalent à une plateforme d’intermédiation nationale pour le secteur médico-social – constitue une réelle opportunité. Il permettrait d’exposer une API unique aux éditeurs de DUI et aux éditeurs de solutions innovantes leur permettant de s’interfacer avec l’ensemble des solutions connectées à cet orchestrateur. La puissance publique mobiliserait ainsi ses ressources pour accélérer l’interopérabilité au sein de l’écosystème et permettrait aux éditeurs de se recentrer sur leur cœur de métier et de développer de nouveaux services répondant aux besoins de terrain. Cet orchestrateur viendrait ainsi parachever la stratégie d’état plateforme promue historiquement par la feuille de route du numérique en santé tout en proposant une première brique nationale dédiée au secteur médico-social et à ses besoins propres. Si cette perspective a été entrouverte à l’occasion des travaux d’urbanisation sectorielle en cours, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour « transformer » cette initiative en une plateforme déployée et utilisée au quotidien.