L’année 2021 fut-elle un tournant majeur pour l’industrie française ?
Après plus de 40 ans de déclin, c’est ce qui semble se dessiner avec les premiers indices économiques publiés, car la part de l’industrie – 13,5%(1) du PIB en France – se stabilise, voire augmente légèrement. Le secteur des produits manufacturés est pourtant en pleine mutation et au cœur de l’actualité : enjeux de souveraineté pendant la crise sanitaire, tensions sur les approvisionnements, envolée du prix des matières premières, évolution des modes de consommation en faveur du « made in France », transition numérique et écologique.
Depuis 2017, les initiatives en matière de politique industrielle ont été fortes : réforme du droit du travail et loi PACTE pour l’ensemble des entreprises en début de quinquennat ; accélération sur l’industrie durant la crise via le plan de relance européen et national : baisse des impôts de production, programme d’investissement d’avenir à 20 Md€, soutien aux jeunes entreprises innovantes, 34 Md€ dédiés à France 2030, entre autres.
Si cette situation de crise exceptionnelle a permis de débloquer d’importants moyens, c’est bien dans le long terme que doit s’inscrire une politique industrielle. Ce long terme impose, outre des capacités à investir, une véritable vision et de lourds choix politiques en concertation avec les industriels : quid des filières stratégiques ? quel positionnement face à la mondialisation ? comment allier productivité, industrie et écologie ? quel modèle économique et social pour l’industrie de demain ?
Toutes ces questions font écho à 4 principaux challenges à relever, afin de bien ancrer l’industrie en France : Compétitivité, Attractivité, Proximité, Durabilité. Ces 4 priorités industrielles sont le point de départ de la période 2022-2027, mais surtout bien au-delà, et doivent s’inscrire dans la continuité des initiatives déjà lancées.
1. Une politique au service de la Compétitivité des industriels
Poursuivre la baisse des impôts de production est une mesure clé d’un retour à la compétitivité. Si l’effort de réduction de 10 Md€ sur les 70 Md€ (2) de recettes annuelles est louable, cet impôt de production reste nettement supérieur à la moyenne européenne. Une réduction complémentaire significative doit être envisagée pour les ETI et PME qui sont les plus pénalisées, tout comme un choc de simplification : près de 200 (2) taxes et impôts composent aujourd’hui ces impôts de production. Dans le même temps, la déclinaison de ces mesures doit se faire de manière « chirurgicale » et en échange de contreparties pour les industriels
Par exemple, l’instauration de zones franches dans les « Territoires d’Industrie » avec des objectifs de réindustrialisation à concrétiser, dégrèvement incitatif à travailler sur des chaînes de valeur amont / aval, en France et en Europe, ou encore exonération temporaire d’impôts sur des filières ou sites industriels stratégiques.
Renforcer l’ensemble de ces chaînes de valeur est crucial pour une compétitivité à l’échelle collective, mais aussi pour la souveraineté nationale : matières premières, énergie, réseaux de grands groupes / ETI / PME, structures d’innovation, recyclage, services numériques, logistique. Si les fleurons industriels constituent la locomotive économique, c’est bien la logique d’écosystèmes industriels qui est à renforcer. Il faut donc activer des actions sur mesure :
- la transformation de France 2030 en véritable plan Marshall industriel avec un maillage européen, national et régional ;
- la construction de fonds régionalisés publics, privés et particuliers ;
- la facilitation du rapprochement entre industriels, en lien avec l’Autorité de la concurrence.
2. Un renfort d’Attractivité des compétences dans un secteur souvent délaissé
Réindustrialiser la France repose certes sur un outil industriel, mais avant tout sur des savoir-faire et des talents.
Du fleuron industriel aux ETI / PME de pointe, de l’ingénieur à l’opérateur, les métiers de l’industrie peinent à attirer et souffrent souvent d’une image dépassée. L’usine est pourtant un formidable lieu de mixité sociale.
Des travaux ambitieux doivent sécuriser les 75 000 à 100 000 emplois industriels aujourd’hui non pourvus, mais surtout accompagner l’attractivité et la mutation du secteur : poursuite du développement de l’apprentissage, promotion locale des filières professionnelles, campagnes de sensibilisation aux métiers industriels, co-construction de nouveaux cursus de formation avec les industriels, décloisonnement et passerelles entre les métiers, revalorisation des salaires, développement de la marque employeur notamment auprès des ETI / PME. Cette politique de l’emploi et des compétences est à construire en forte adéquation avec la mutation des filières industrielles existantes, les filières d’avenir, ainsi que les filières clés identifiées comme relocalisables.
3. Un principe de Proximité comme « fer de lance » des pouvoirs publics
Favoriser le « made in France » ou le « made in Local » doit être une préoccupation de chacun, avec notamment un devoir d’exemplarité des pouvoirs publics qui achètent chaque année près de 400 Md€ (3) de produits et services. Le privé, qu’il désigne une entreprise ou un particulier, a également tout son rôle à jouer dans un acte d’achat dit intelligent et de Proximité. Si le principe du 1 € d’impôt collecté en France = 1 € réinvestit en France = 2 à 5 € de production et de consommation, cette mécanique théorique doit être encadrée au plus haut niveau. De manière concrète, les mesures suivantes permettent de répondre à ces enjeux : mise en place d’un « French Business Act » pour garantir une part majoritaire de « made in France » dans les achats publics ; taux de TVA ajusté sur les produits les plus importés et où la concurrence locale existe ; transparence des revendeurs français sur l’origine exacte des produits. A nouveau, l’intensité et l’orientation à appliquer sur ces mesures sont à mettre au regard de la volonté de réindustrialiser sur chaque filière.
4. Une logique de Durabilité comme prérequis au futur de l’industrie
Moderniser et verdir l’outil industriel, faire durer et recycler les produits, c’est cette vision d’écologie industrielle qui doit s’inscrire dans le long terme. La transparence et les obligations écologiques diffèrent fortement pour les industriels qu’ils soient en France, en Europe ou hors Europe. Si la taxe carbone aux bornes de l’Europe est un vaste sujet – 14% ⁽⁴⁾ du total de CO2 émis est lié à l’industrie en UE, versus 28% ⁽⁴⁾ en Chine – aller plus loin en l’étendant aux enjeux RSE parait indispensable : conditions de travail équitables sur le volet social, par exemple. Dans l’attente des contours de cette politique européenne dont l’impact reste à confirmer, la France a tout son rôle à jouer pour impulser la dynamique en mettant par exemple en place :
- des pénalités RSE sur les importations, en particulier les produits de grande consommation ;
- des avantages fiscaux pour les filières de recyclage en cours de déploiement ;
- des primes incitatives à la création de nouvelles usines « net zéro carbone » ;
- la création d’un label produits à longue durée de vie afin de contrebalancer la surconsommation et l’obsolescence programmée.
Annotations
- Source : France Industrie
- Source : Institut Montaigne
- Source : Rapport sénatorial de 2015 – Achats des administrations publiques (190) + Achats des opérateurs de réseaux (90) + Concessions (130)
- Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr, industrie & construction