Quels sont les éléments qui expliquent votre décision de (re)localiser une partie de votre production en France ?
Notre décision de produire en France est la conjonction de plusieurs facteurs et le fruit d’une réflexion sur le long terme, en cohérence avec les orientations de la filière stratégique électronique, au sein de laquelle je suis particulièrement impliqué. Nous avons un savoir-faire de pointe en France et une puissance industrielle à laquelle nous souhaitons donner un avenir.
De manière pragmatique, il y a bien sûr un intérêt économique à relocaliser aujourd’hui : la digitalisation et l’automatisation permettent de retrouver davantage de compétitivité, avec en parallèle l’accélération des nouvelles technologies qui induisent chez nos clients une volonté de « time-to-market » de plus en plus court. Dans ce sens, la relocalisation au plus proche des marchés finaux permet d’optimiser la réactivité des chaînes logistiques.
Ensuite, il y a bien sûr un enjeu environnemental qui traverse la société depuis quelques années déjà et qui impacte l’industrie. Nous avons pris conscience de l’incongruité de faire venir nos produits de l’autre bout du monde et mettons en place des moyens pour optimiser de manière durable notre chaîne logistique.
Enfin, notre décision va de pair avec une volonté politique de réunir industrie et R&D, après plusieurs années de délocalisation de la production dans les pays émergents. R&D et industrie sont indissociables et complémentaires si l’on souhaite développer les emplois dans les territoires et favoriser notre souveraineté nationale.
La pandémie de la Covid-19 a-t-elle accéléré cette décision ?
Aujourd’hui, avec le projet SYMBIOSE, nous sommes dans la dernière ligne droite de construction de notre usine française du futur, qui sera la première usine électronique à voir le jour en France depuis 20 ans. Le projet était déjà en route depuis 2016 et avait été labellisé « Vitrine de l’Industrie du Futur » en 2017. Lorsque la crise a débuté, nous nous sommes interrogés sur la pertinence de maintenir ce projet, notamment à cause de l’impact de la crise sur l’activité aéronautique, particulièrement représentée au sein de l’usine. Cependant la crise a confirmé notre conviction concernant la tendance des relocalisations.
Il est vrai que la question de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques a rejoint la réflexion globale autour de la souveraineté nationale et de notre dépendance à d’autres États. Bien sûr lorsque la Chine a fermé ses frontières lors de leur premier confinement, cela a créé un choc mondial au niveau des chaînes logistiques qui a certainement accéléré les prises de conscience, notamment dans la filière électronique particulièrement dépendante de l’Asie sur certains composants.
Je pense que la crise de la Covid-19 a appuyé le caractère d’urgence et a mis en lumière des sujets qui auraient nécessité davantage de temps pour faire évoluer les mentalités : l’existence de joyaux industriels en France qui suscitent la fierté de la classe politique et des territoires par exemple. Dans ce sens, la crise a clairement joué un rôle d’accélérateur.
La relocalisation en France d’autres segments de votre chaîne de valeur / process de production est-elle envisageable en France au cours des prochaines années ?
Le projet SYMBIOSE est un projet de transformation conséquent, tant d’un point de vue technologique, social et environnemental, avec un investissement de près de 30 millions d’euros sur plusieurs années. Notre préparation très en amont sur ce projet nous a permis d’anticiper les contraintes de business plan, de rentabilité et de compétitivité, en saisissant les opportunités que l’industrie du futur pouvait nous apporter.
Nous essayons de privilégier autant que possible des solutions locales, françaises ou européennes, pour automatiser nos opérations ou digitaliser certains outils métiers. C’est tout le pari de l’ambition industrielle en France… avec toutefois certaines limites.
En effet, tout n’est pas possible et certains segments de la chaîne de valeur ne pourront pas forcément être relocalisés. La relocalisation systématique n’a d’ailleurs pas de sens. La question serait plutôt de trouver le bon curseur entre relocalisation et sécurisation des approvisionnements critiques ayant recours à différentes zones géographiques.
Cette revue de la chaîne de valeur représente une occasion historique pour une transformation profonde. Il s’agit alors de se saisir de cette opportunité, dans un esprit de synergie et de réflexion commune avec l’ensemble de la filière (amont et aval, l’interdépendance étant clé). J’espère voir se multiplier de nouveaux projets sur le modèle de SYMBIOSE pour additionner les ambitions et les investissements industriels… car c’est bien la taille critique globale de nos R&D et industries locales qui nous permettront de rivaliser et de mieux maîtriser la continuité des activités en cas de crise.