L'actualité comptable de ce mois de juin est dominée par la nécessité de tirer les conséquences comptables de réformes récentes et par une intense activité normative, avec de nombreux projets susceptibles d’avoir des impacts majeurs sur les états financiers dans un avenir proche. Par ailleurs, si peu de nouvelles normes IFRS entrent en vigueur en 2024, leur mise en œuvre pourrait se révéler complexe. Enfin, les indicateurs de performance alternatifs prennent de l'importance dans les travaux des régulateurs et il faudra désormais compter avec la nouvelle norme IFRS 18 sur la présentation des états financiers qui entrera en vigueur en 2027.
Points d’actualité
Les impacts éventuels des conditions macroéconomiques et géopolitiques ainsi que des risques climatiques constituent un sujet permanent d’attention pour les clôtures comptables. En outre, deux sujets dominent l’actualité : l’entrée en vigueur de la réforme fiscale internationale, dite Pilier 2, et la mise en conformité du Code du Travail français avec le droit européen suite aux décisions de la Cour de cassation de septembre dernier concernant l’acquisition de congés payés pendant les arrêts de travail.
Conditions macroéconomiques et géopolitiques et risques climatiques
Au titre de ces sujets, désormais permanents à l’agenda des clôtures comptables, il faut souligner :
- La hausse modérée des taux d’intérêts en zone euro depuis le 31 décembre (comprise entre quelques points de base et 50pb en fonction des maturités et des références) ;
- L’évolution récente de l’inflation en Egypte qui devrait conduire à appliquer la comptabilité d’hyper-inflation au plus tard le 31 décembre 2024 (à compter du 1er janvier 2024 en application d’IAS 29) ;
- Les nouvelles sanctions prises à l’égard de la Russie et l’aggravation des difficultés d’approvisionnement de certaines matières premières ; et
- La nécessité de vérifier si l’évolution des risques climatiques identifiés ou l’annonce de nouveaux engagements doivent être reflétés dans les états financiers.
La traduction de ces enjeux dans les comptes ne se limite pas à la comptabilisation d’impacts tels que des dépréciations, des provisions ou des révisions de durées d’amortissement. Elle doit aussi comprendre, lorsque cela est nécessaire pour éclairer la compréhension des états financiers et faire le lien avec les autres parties du rapport annuel, l’enrichissement des informations fournies dans les annexes aux états financiers.
Pour approfondir :
- Applying IFRS: Connected Financial Reporting: Accounting for Climate Change (Mise à jour mai 2024)
- Applying IFRS - Accounting considerations related to economic volatility (Mise à jour mai 2024)
- IFRS Developments Issue 225 - Hyperinflationary economies (Mise à jour mai 2024)
Réforme fiscale internationale Pilier 2
La transposition progressive des règles modèles de l'OCDE relatives à la mise en œuvre d’un impôt minimum mondial (Pilier 2) pour les groupes réalisant un chiffre d’affaires consolidé supérieur ou égal à 750M€ est en cours dans les 137 juridictions de l’OCDE s’étant engagées à les appliquer.
En France, ces règles ont été transposées par la loi de finance 2024 et sont entrées en vigueur depuis le 1er janvier. Dans le monde, une quarantaine d’États les ont également transposées à date. Même si les premières déclarations fiscales au titre de ce nouveau régime d’imposition n’auront pas lieu avant 2026, ces règles s’appliquent dès les résultats 2024 et il convient d’en tirer les conséquences comptables dès la première clôture intérimaire de l’exercice.
La norme IAS 12 relative à la comptabilisation de l’impôt sur les résultats a été spécifiquement amendée sur le sujet pour :
- Imposer l’indication en annexe du montant d’impôt courant comptabilisé à ce titre ; et
- Interdire, à titre temporaire, la comptabilisation d’impôts différés au titre de ce nouveau régime d’imposition.
Différentes approches peuvent être retenues pour répartir la charge annuelle estimée entre les différentes périodes comptables intérimaires. Si l’importance des impacts de ce nouveau régime le justifie, l’approche retenue devra être décrite en annexe des comptes semestriels, ainsi que les bases d’estimation de l’imposition supplémentaire et l’impact sur les comptes.
Pour approfondir :
Mise en conformité de Code du Travail français avec le droit européen
À la suite des décisions de la Cour de cassation de septembre dernier, le Code du Travail français a été modifié par la loi n°2024-364 du 22 avril 2024 (dite DDADUE) pour le mettre en conformité avec le droit européen. L’application de la loi étant rétrospective à compter du 1er décembre 2009 pour les arrêts pour maladie non professionnelle, sous réserve des dispositions détaillées ci-après, il convient d’en tirer les conséquences comptables dès la prochaine clôture intermédiaire de l’exercice 2024.
Cette loi introduit les modifications suivantes :
- Tous les arrêts maladie donnent droit à congés payés, qu’ils soient d’origine professionnelle ou non, et
- L’acquisition de congés payés se poursuit au-delà d’un an d’arrêt continu.
Le droit à congés payés pendant les arrêts maladie d’origine non professionnelle est toutefois limité à 2 jours ouvrables par mois, au lieu de 2,5 jours par mois pour les périodes de travail effectif et d’arrêt maladie d’origine professionnelle.
Il convient de rappeler que certaines conventions collectives ou accords d’entreprise prévoyaient d’ores et déjà des dispositions plus favorables que celles du Code du Travail, ce qui a pour effet de limiter ou d’annuler l’impact de ces nouvelles dispositions.
La prescription du droit à congés payés ne court qu’à compter du moment où l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ce droit. Toutefois, lorsque le contrat de travail est suspendu depuis au moins un an en raison de la maladie ou de l’accident, une limite de 15 mois à la possibilité de reporter les congés payés à partir de la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis a pour effet de d’empêcher l’acquisition illimitée de congés dans le cas d’arrêts maladie de très longue durée.
Bien que l’application de la loi soit rétrospective à compter du 1er décembre 2009 pour les arrêts pour maladie non professionnelle, les effets de cette rétroactivité sont cependant limités par une disposition plafonnant le nombre total de jours de congés payés à 24 jours par période de référence pour les droits passés à la date d’entrée en vigueur de la loi (le 24 avril dernier). Cette disposition – applicable uniquement aux droits passés- a pour effet qu’aucun jour de congés payés n’est acquis pour les arrêts maladie d’une durée inférieure à 2,5 mois par période de référence. En outre, les ex-salariés ayant quitté l’entreprise depuis plus de 3 ans ne peuvent faire valoir aucun droit au titre des périodes passées en raison de la prescription triennale des actions en paiement de salaires.
Pour l’application des règles de report dont peut bénéficier le salarié, il faut distinguer les périodes d'absence selon les périodes d’acquisition des congés auxquelles elles se rattachent (en général du 1er juin au 31 mai).
Les réclamations au titre de droits passés doivent être introduites dans un délai de 2 ans à compter de cette même date.
Actualité normative
L’actualité normative IFRS est particulièrement riche en cette période. Après la publication fin novembre dernier des propositions de l’IASB concernant la distinction dettes/capitaux propres, qui sont notamment susceptibles d’avoir un impact sur la comptabilisation des puts minoritaires, et en avril de la norme IFRS 18, qui modifiera en profondeur la présentation du compte de résultat et des informations en annexe à compter de 2027, deux projets en cours pourraient entraîner des conséquences importantes sur les états financiers dans un avenir proche :
- Le premier concerne les informations à fournir au titre des regroupements d’entreprises et les tests de dépréciation des goodwill (Business Combinations – Disclosures, Goodwill and Impairment) ;
- Le second est relatif à la comptabilisation des contrats de fourniture d’électricité renouvelable (Renewable Energy Contracts).
Ces projets peuvent encore être commentés, respectivement jusqu’au 15 juillet et 7 août 2024.
Exposé-sondage Business Combinations – Disclosures, Goodwill and Impairment
Ce projet propose notamment les modifications suivantes:
- Pour IFRS 3 Regroupements d’entreprises, une révision significative des informations à fournir au titre des regroupements d’entreprises, tant pour l’exercice au cours duquel ils ont lieu qu’au cours des années qui suivent, et
- Pour IAS 36 Dépréciations d’actifs, une clarification du niveau auquel le goodwill peut être alloué, et des modifications des règles de calcul de la valeur d'utilité.
Informations à fournir au titre des regroupements d’entreprises
L’IASB propose d’ajouter deux nouveaux objectifs d’informations à fournir au sein des états financiers (et non du rapport de gestion) concernant :
- Pour tous les regroupements d’entreprises (matériels) réalisés par la société : les avantages attendus du regroupement d’entreprises lors de la négociation du prix d’acquisition ; et
- Uniquement pour les regroupements d’entreprises identifiés comme « stratégiques » sur la base de critères qualitatifs ou quantitatifs énoncés par l’IASB : le niveau d’atteinte des objectifs clés et de réalisation des niveaux cibles associés postérieurement à l’acquisition.
S’agissant des avantages attendus du regroupement d’entreprises, des informations seraient exigées concernant :
- La motivation stratégique du regroupement d’entreprises ; ainsi que
- Les synergies attendues. Une entité devrait à ce titre produire les informations suivantes :
- La description par catégorie des synergies attendues (synergies de coûts, de chiffre d’affaires, etc.) ;
- Une estimation du montant (ou d’une fourchette) pour ces synergies ;
- Une estimation du montant (ou d’une fourchette) des coûts nécessaires pour obtenir ces synergies ; et
- La date à partir de laquelle l’entité commencera à réaliser ces synergies et la durée sur laquelle elle s’attend à les réaliser.
S’agissant de l’atteinte des objectifs des regroupements d’entreprises « stratégiques », les informations suivantes seraient exigées pour chaque acquisition :
- Lors de l’exercice au cours duquel le regroupement d’entreprises intervient :
- Les objectifs clefs (key objectives) assignés à la date d’acquisition au regroupement (par exemple : accroître le chiffre d’affaires d’une zone géographique donnée) ; et
- Les niveaux cibles associés (targets), sous forme d’un estimé unique ou d’une fourchette (par exemple : réaliser une hausse de chiffre d’affaires de 45 % d’ici 2027 sur cette même zone).
- Lors des exercices ultérieurs et aussi longtemps que cette information sera suivie par les principaux dirigeants de l’entité acquéreuse : le niveau d’atteinte des objectifs clefs et de réalisation des niveaux cibles associés accompagné d’une déclaration qualitative sur l’atteinte de ces objectifs et niveaux cibles.
Les entreprises seraient autorisées à ne pas fournir, au cas par cas, les informations relatives aux synergies attendues, aux objectifs clefs et aux niveaux cibles associés ainsi que la déclaration qualitative sur leur atteinte postérieurement à l’acquisition si l’on peut s’attendre à ce que communication de ces dernières cause un préjudice sérieux à l’atteinte de tout objectif clef assigné à ce regroupement, sous réserve de le justifier en annexe.
Ces amendements entreraient en vigueur de façon prospective aux regroupements d’entreprises réalisés à compter de leur date effective.
Tests de dépréciation du goodwill
Le goodwill reste non amortissable mais l’IASB propose en particulier de clarifier que son allocation pour les tests de dépréciation ne se fait pas, par défaut, aux secteurs opérationnels. Au contraire, l’entité devrait :
- D’abord identifier les unités génératrices de trésorerie (ou groupes d’UGT) qui bénéficieront des synergies du regroupement d’entreprises ;
- Puis identifier le plus petit échelon au niveau duquel de l’information financière relative à ces UGT est régulièrement revue par le management pour suivre l’activité associée au goodwill.
Cette clarification est susceptible de conduire à tester la dépréciation des goodwill à un niveau plus fin qu’actuellement.
Pour approfondir :
Exposé sondage sur le traitement comptable des contrats de fourniture d’électricité renouvelable (Renewable Energy Contracts)
L’IASB a publié le 8 mai dernier des propositions d’amendements des normes IFRS 9 Instruments Financiers et IFRS 7 Instruments Financiers — Informations à fournir concernant la comptabilisation des contrats de fourniture d’électricité renouvelable.
Ces contrats sont de plus en plus utilisés pour permettre aux entreprises de réduire ou compenser leurs émissions de gaz à effet de serre et sécuriser les achats d’électricité renouvelable (et les garanties d’origine associées) sur des périodes généralement comprises entre 15 et 30 ans. L'analyse du traitement comptable de ces contrats suppose pour commencer de vérifier si les normes IFRS 10 États financiers consolidés (dans le cas de la création d'utilités structurées), IAS 16 Immobilisations corporelles (s'il s'agit d'un achat en substance d'immobilisations) ou IFRS 16 Contrats de location trouvent à s'appliquer. À défaut, leur analyse selon la norme IFRS 9 Instruments financiers pourra conduire à :
- Soit les maintenir hors bilan ;
- Soit devoir les comptabiliser à la juste valeur en contrepartie du résultat dès leur signature et, selon les cas, à être éligibles ou non à une comptabilité de couverture.