Alors que la France se mobilise fortement auprès des plus vulnérables d’entre nous (180 Md d’€ versés en 2020 au titre des politiques de l’emploi et des politiques sociales au sens large), comment rendre plus efficace l’accompagnement des personnes en fragilité sociale ?
Des rapports récents (IGAS(1), Cour des comptes(2) ) le démontrent, le cloisonnement des différents services sociaux et le manque de partage d’informations sont des facteurs limitant l’efficacité de ces services publics.
La transformation des politiques sociales et plus spécifiquement des services sociaux doit reposer selon nous sur trois postulats essentiels : prévenir et partager ; repérer, suivre et accompagner ; et simplifier, outiller et optimiser.
Prévenir et partager : transformer l’accompagnement des usagers
Dans d’autres pays, les services sociaux se sont réorganisés autour d’outils et de pratiques mettant en avant une approche préventive et des interventions précoces. Pour décloisonner, il est indispensable de repenser l’organisation des services dans une logique de prévention et d’anticipation des risques ainsi que de faciliter le partage de la donnée.
A titre d’illustration, le désilotage et un meilleur partage d’informations entre professionnels a permis de générer une réduction de plus de 25 % du nombre d’enfants placés en Australie ou aux Etats-Unis : permettant d’accompagner trois fois plus de familles de façon anticipée. En France, cela représenterait une économie potentielle de près de 2 Md d’€ qui pourrait être réutilisée pour accompagner plus d’enfants et de familles via des dispositifs de prévention.
Repérer, suivre et accompagner : un métier du social à transformer
Les pratiques doivent continuer à évoluer pour passer davantage d’une logique de travail social individuel, à une logique de travail social partagé, coordonné et pluridisciplinaire au service de la cohérence des parcours.
Cette évolution des pratiques doit également s’accompagner d’une évolution des métiers : d’une approche technicienne vers une approche de « gestionnaire de parcours de vie ».
Cette évolution des modes de travail pourrait être l’une des réponses à la crise de vocation de la filière et constituer un réel facteur d’attractivité, sous réserve d’un ambitieux plan d’évolution des formations proposées aux travailleurs sociaux.
Simplifier, outiller et valoriser : vers des services sociaux disposant d’outils modernes et adaptés
Bien conçu, le numérique améliore l’efficience et la qualité de vie au travail pour les professionnels : avoir de bons outils pour travailler, c’est aussi une façon de valoriser le professionnel et la personne qu’il accompagne !
Poursuivre l’accélération de la modernisation de l’environnement de travail numérique des équipes est donc essentiel mais insuffisant. Il faut la compléter par une stratégie de valorisation métier, de croisement et d’utilisation des données dont dispose l’administration. Par une vision holistique, les professionnels pourront mieux repérer les publics fragiles et les accompagner. L’évaluation et l’orientation des politiques publiques, la lutte contre le non-recours ou la fraude seront facilitées. Nos voisins sont en train de prendre ce virage majeur, n’est-il pas temps pour la France de s’y engager pleinement ?
Quelles premières étapes pour transformer les services sociaux ?
Certes, les politiques sociales sont très largement décentralisées, mais l’Etat doit continuer à se transformer et soutenir les collectivités locales et administrations compétentes dans ces adaptations.
Il doit impulser et soutenir des projets collectifs pour permettre un passage à l’échelle. Les systèmes d’information en sont un bon exemple : la masse critique permet de dégager les financements nécessaires et d’obtenir, in fine, les gains attendus. Il faut aussi arrêter de penser des systèmes locaux, qui ne communiquent pas avec ceux du département voisin : les personnes bougent et l’offre d’accompagnement ne s’arrête pas à la frontière départementale.
La France est profondément attachée à son modèle de protection sociale. Il a su démontrer son rôle d’amortisseur dans bien des situations et il est majeur dans le contexte actuel d’inflation, d’instabilité géopolitique et de crises sanitaires. Donnons-lui les moyens de s’adapter, modernisons-le en agissant sur l’évolution des pratiques et des métiers et tirant profit de la puissance du numérique pour mieux accompagner les plus fragiles d’entre nous.
Annotations
- Rapport IGAS/IGEN/IGAENR, Evaluation de la politique de prévention en protection de l’enfance, Janvier 2019
- Cour des comptes, La protection de l’enfance : une politique inadaptée au temps de l’enfant, Novembre 2020