Malgré les vents contraires portés par les conflits sociaux, les tensions inflationnistes et les incertitudes provoquées par la guerre en Ukraine, la France a su rester attractive en 2022, faisant montre d’une très belle résilience.
Publiés le 11 mai dernier, les premiers résultats du Baromètre EY 2023 de l’attractivité ont clairement témoigné de la vigueur de ce pouvoir d’attraction, en particulier dans l’industrie et dans l’innovation, tous territoires confondus ou presque. En effet, pour la quatrième année consécutive, l’Hexagone est arrivé en tête du classement européen des destinations d’accueil des IDE en 2022 avec 1259 nouveaux projets, un nombre en hausse de 3% par rapport à 2021. Forte de cette performance, la France a creusé l’écart avec ses deux concurrents historiques que sont le Royaume-Uni (929 projets, -6%) et l’Allemagne (832, -1%).
Mais le tableau n’est pas totalement idyllique. Malgré les grands titres qui ont été généralement et légitimement positifs, une évidence apparait : la cote d'amour de la France est fragile.
La concurrence internationale, les mutations sociétales, technologiques, environnementales en cours, ainsi que les attentes sans cesse renouvelées des entreprises ne permettent aucune certitude. La compétitivité et la capacité d’adaptation de la France restent, comme celles de ses concurrents d'ailleurs, toujours questionnées. Se transformer, se réinventer, renouveler sa promesse sont donc impératifs.
Avec la contribution des experts EY, ce deuxième épisode du Baromètre de l’Attractivité 2023 vise à identifier ce qui rend notre attractivité singulière et vulnérable. Dans une douzaine de domaines, nourris d’échanges avec des centaines de dirigeants, nos spécialistes de l’accompagnement des entreprises et des acteurs publics ont sélectionné les axes de progrès qui leur semblent permettre à la France de poursuivre sa transformation et de répondre aux défis des années à venir.
Concrètement, quels sont les enjeux à venir ?
D’abord, affronter les vents contraires d’une économie mondiale agitée
A court terme, la France doit trouver de nouvelles armes pour rester performante dans un contexte inflationniste, pour s’adapter aux nouveaux paradigmes énergétiques, pour maintenir la dynamique de son économie. La partie n'est facile pour personne. Elle l'est d'autant moins que la reconfiguration des supply chains, la nécessaire adaptation au travail hybride, la course à l’innovation, toujours plus gourmande en talents et en capital, bouleversent les modèles économiques.
Au niveau mondial, la France - et avec elle l'Europe - doivent notamment affronter la concurrence de l'Inflation Reduction Act (IRA), le dispositif américain dont certaines mesures réglementaires et fiscales constituent « une arme d’attractivité massive ». Dans la compétition qui les oppose aux grands blocs (Etats-Unis et Chine surtout), la réponse européenne apparait plus lente et plus complexe donc moins efficace et moins convaincante, malgré les moyens financiers mis sur la table. Quant aux dispositifs hexagonaux (France 2030, AAP, Fonds Vert, Plan Industrie Verte, etc.), bien qu'ils témoignent d'un volontarisme public sans doute inégalé, ils peuvent interroger : sont-ils lisibles ? Visent-ils justes ? Seront-ils suffisants ?
Parce que les critères d’investissement changent, les cartes sont clairement rebattues. Que cherchent aujourd'hui les dirigeants internationaux qu’EY a interrogés ? Une combinaison de pragmatisme, sous le signe de la compétitivité, de la rentabilité, de la sécurité, de la rapidité, mais aussi de durabilité qui passera par l’accélération de la décarbonation, une meilleure lecture des enjeux territoriaux et sociétaux, une agilité face aux crises à rythme rapide.
Une équation nouvelle qui renvoie à la compétitivité, mais également aux talents, à la technologie et à la transition écologique, problématiques transversales qui embrassent l’ensemble du champ des pourquoi et des comment.
Retrouver un équilibre financier pour rester compétitif
Certes, de nombreuses réformes ont été menées depuis plus de dix ans pour redresser notre compétitivité-prix et hors-prix. Mais de nouveaux chantiers doivent être lancés ou poursuivis afin que la France rivalise à armes à peu près égales à ses concurrents européens, américains ou asiatiques.
L’enjeu est de taille. A cause d’une structure de coût élevée - sans oublier la volatilité du climat social -, un projet d'investissement ne crée en moyenne que 33 emplois en France, quand il en génère 58 en Allemagne.
Et les nouvelles marges de manœuvre ne pourront être gagnées que si ses finances publiques retrouvent le chemin de l’équilibre, le poids de la dette - 111% du PIB en 2022 - et la remontée des taux d’intérêts excluant désormais et pour un certain temps l’option que représentait jusqu’à il y a peu le recours quasi systématique à l’endettement. Rappelons que la charge de la dette s’élève cette année à 41 milliards d’euros en 2023. Et ce n’est pas fini. Si les prévisions formulées dans le programme de stabilité (PSTAB) présenté fin avril par Bercy et transmis à Bruxelles se réalisent, elle atteindra 71,2 milliards d’euros en 2027, faisant du service de la dette le premier poste de dépense budgétaire de la France. Si la décision récente de l’agence de notation Fitch Ratings d’abaisser la note de la dette souveraine de la France de AA à AA - ne s’est pas traduite par une perte de confiance de la part des investisseurs financiers, rien ne permet de penser que ce statu quo durera.
French Touch, French Tech, French Influence…
Démarrons par les talents « made in France » Notre système éducatif semble aussi critiqué en France qu’il est réputé hors de nos frontières. Les dirigeants internationaux louent sa capacité à former des esprits « rebelles », qui doutent et remettent en cause les idées reçues. Renverser les tables est l’une des composantes de la « French Touch » dont souhaitent profiter les investisseurs étrangers lorsqu’ils s’implantent chez nous. Mais ce seul talent ne suffit pas. Notre système, mais aussi les parcours de formation continue doivent évoluer car notre marché du travail est depuis trop longtemps déséquilibré et les besoins en nouvelles compétences sont gigantesques.
En baisse quasi continue depuis 2016, le taux de chômage s'établissait à 7,1 % de la population active au premier trimestre 2023, soit son plus faible niveau depuis quinze ans. Mais la France compte encore plus de 3 millions de chômeurs de catégorie A… Par ailleurs, faire reculer le taux de chômage n’est pas tout. Augmenter le taux d’emploi - le rapport entre le nombre de personnes en emploi et la population en âge de travailler - est impératif. Stable en France depuis quelques années, il est proche de 65%, soit 10 points de moins qu’en Allemagne. Relever le taux d’activité - qui mesure la proportion du nombre d’actifs, qu’ils soient en emploi ou au chômage, au sein de la population - l’est tout autant. En 2022, il atteignait 73,6% de la population âgée de 15 à 64 ans, contre près de 80% outre-Rhin.
À l’heure où le gouvernement table sur un projet de loi Plein emploi pour abaisser le taux de chômage à 5% en 2027, la France doit inventer une nouvelle méthode pour former à des métiers qui collent aux aspirations personnelles et répondent aux préoccupations sociétales et environnementales de ces bataillons de talents en devenir dont les entreprises ont et auront besoin.
Forte de sa French Tech, la France a su se donner une image plus entrepreneuriale et gagner ses lettres de noblesse dans les secteurs technologiquement innovants. Nos licornes font de belles étincelles. Essentiellement présentes dans le numérique, ces entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars, sont désormais au nombre de trente. Elles n’étaient que 3 en 2017. Le bond en avant est spectaculaire. Mais il masque une réalité peut-être plus complexe qu’il n’y parait. Trop peu de start-up parviennent à changer d’échelle. Manque de moyens financiers ? Pénurie de talents ? Complexité administrative ? Marché national trop restreint ? Nombreux sont les facteurs qui peuvent être avancés pour expliquer leurs difficultés qui les empêchent jouer sérieusement des coudes avec leurs homologues sur d’autres continents... C’était vrai hier. C’est encore vrai aujourd’hui. Ce le sera encore demain, notamment dans les disciplines et les technologise aujourd’hui émergentes et peut-être décisives dans le futur comme la santé ou l’intelligence artificielle si la France - avec l’aide de l’Europe ? - ne parvient pas à bâtir un écosystème puissant et attractif.
Et terminons par un sujet qui touche au futur des investissements en France, celui de l’influence, notamment celle qui s’exprime au sein des sièges sociaux internationaux. Dans ce domaine stratégique, le baromètre EY a montré que la France restait distancée par le Royaume-Uni qui, malgré le Brexit, a su fixer 133 quartiers généraux en 2022 contre 78 pour l’Hexagone. La situation apparaît d’autant plus inquiétante qu’à peine 10% des dirigeants prévoient d’implanter ou d’étendre en France leurs centres de décision au cours des trois prochaines années. Et qu’en plus de Londres, de formidables compétiteurs tels qu’Amsterdam, Dublin ou Bruxelles proposent une fluidité administrative et des aménagement fiscaux qui séduisent les groupes, parce qu’ils améliorent leur rentabilité tout en optimisant la rémunération de leurs équipes centrales.
L’attractivité au défi de la transition écologique
Dessinée par le discours de Belfort d’Emmanuel Macron sur la politique de l’énergie en février 2022 et concrétisée par la loi adoptée par une large majorité parlementaire en mai 2023, la stratégie énergétique française qui consiste à donner la priorité au nucléaire et aux énergies renouvelables fait consensus et a les moyens de ses ambitions. Déjà plébiscitée pour sa capacité à décarboner son électricité, la France devrait encore gagner des points auprès des investisseurs, rendus peut-être un peu perplexes par les mesures contenues dans la loi climat et résilience votée en août 2021. En effet, si ce texte témoigne de la volonté de la France de devenir un acteur majeur des transitions écologiques, il indique également que cet engagement ne se fera pas à n’importe quel prix ! Rappelons en effet que cette loi se fixe pour objectif de réduire de moitié le rythme d'artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et d’atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) d'ici à 2050. Si on y ajoute le rejet local de certains projets logistiques et industriels, l'explosion des recours ou la montée en puissance de la norme (environnementale, urbanistique, sociale), tout porte à croire que l’attractivité de la France est en train de changer de paradigme pour tendre vers un schéma plus économe, questionnant, à tort ou à raison, la course aux résultats.
Dans ce contexte catégoriquement incertain, quelles sont les promesses de la France de 2023 pour se diriger vers 2030, tout en conservant la confiance des 20 000 entreprises à capitaux étrangers qui en ont fait une terre d’élection…et en séduire de nouvelles ? Quelles sont les possibilités, les opportunités, les choix qui doivent être érigés en priorités par le gouvernement, faire consensus dans le corps social, être déployées par les entreprises et les forces vives du pays, ici et ailleurs ?
A beaucoup d’égards, toutes ces épreuves s’apparentent à des « Jeux Olympiques de l’attractivité ». Comme à Paris en juillet 2024, la France doit faire la démonstration de sa capacité à être compétitive, compétente, audacieuse, dans un climat apaisé et festif.
A nous de faire de ce double test une formidable vitrine de la France attractive.
La France dont rêvent les experts EY