Comment un gouvernement numérique peut‑il connecter tous ses citoyens sans oublier personne?

Par Arnauld Bertrand

Leader mondial d’EY, Consultation, Gouvernement et secteur public

Travailler avec les gouvernements afin de consolider les administrations et d’avoir des politiques publiques percutantes. Passionné par la direction d’équipe afin de favoriser la performance, l’innovation et le service du secteur public.

20 minutes de lecture 24 févr. 2021

Sans une compréhension approfondie des relations des gens avec la technologie, les gouvernements courent le risque que les citoyens se déconnectent en aussi grand nombre que ceux qui se connectent.

En bref
  • Les citoyens manifestent un vif intérêt pour des services publics davantage axés sur le numérique, et nombre d’entre eux veulent avoir leur mot à dire sur la manière dont ils sont offerts.
  • Par ailleurs, une minorité importante de citoyens n’ont pas les compétences ou les moyens d’accéder aux services numériques.
  • Le défi pour le gouvernement est de tirer parti des données et de la technologie pour devenir plus efficient et efficace, sans que les groupes défavorisés soient davantage laissés pour compte. 

En raison des progrès réalisés sur le plan des technologies de communication et de la reconnaissance accrue de notre interdépendance, le monde est maintenant beaucoup plus connecté. Parallèlement, les progrès technologiques, les changements démographiques, l’urgence climatique, l’accroissement des inégalités et l’évolution rapide des valeurs ont contribué à créer un environnement beaucoup plus complexe et incertain pour les gouvernements. Alors qu’ils commençaient à s’adapter à ces défis, le début de la pandémie de COVID‑19 a tout chamboulé et accru encore davantage l’instabilité des gens, des collectivités et de l’économie.

Au plus fort de la crise, les gens se sont tournés vers le gouvernement pour qu’il les protège et protège leurs moyens de subsistance. Par conséquent, les politiques publiques et la prestation de services ont été soumises à des pressions sans précédent.

La conciliation des pressions budgétaires, économiques et sociales subies par les gouvernements, de manière à obtenir de meilleurs résultats pour les citoyens, requiert une compréhension approfondie de la façon dont le bouleversement des dernières années a façonné les opinions des citoyens. Comment perçoivent‑ils leur vie? Que pensent-ils des services qu’ils reçoivent du gouvernement? Sont‑ils prêts pour que le gouvernement fasse davantage appel aux données et à la technologie dans le cadre de la prestation des services publics? Dans quelle mesure les réponses diffèrent‑elles à l’échelle des groupes socioéconomiques?

EY a mis sur pied un nouveau programme de recherche important – Connected Citizens – afin de mieux comprendre comment la vie des gens change dans un monde connecté. L’étude porte sur ce à quoi les gens accordent de la valeur, ce qui les inquiète le plus et ce qu’ils pensent des progrès technologiques qui façonnent leur vie. L’objectif principal est d’examiner leurs attentes par rapport au rôle du gouvernement et aux services publics et la nature de la relation entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés.

Pour trouver réponse à ces questions, nous avons réalisé un sondage mondial des citoyens.

  • À propos de l’étude Connected Citizens

    Ipsos MORI a réalisé des entrevues en ligne avec 12 100 participants en âge de travailler dans 12 pays à l’échelle mondiale entre juillet et septembre 2020. Des quotas ont été fixés selon l’âge, le sexe, la région et la situation relative à l’emploi afin de sélectionner un échantillon représentatif dans chaque pays. Les données ont été pondérées en fonction de l’âge, du sexe, de la région, de la situation relative à l’emploi et de l’éducation. Ipsos MORI a créé un modèle de segmentation fondé sur les données recueillies, ce qui a permis la création de sept segments. Nous avons ensuite assigné à chaque segment une identité ou « persona ». Chaque persona comporte plusieurs dimensions, y compris le profil démographique, les valeurs personnelles, la satisfaction de vivre et les priorités de la vie, les attitudes à l’égard de la technologie et de l’innovation, l’interaction avec le gouvernement et les services publics et les perspectives d’avenir.

L’analyse des données du sondage nous a permis de définir sept personas de citoyens distinctes : battants diligents, chefs de file compétents, défenseurs de la vie privée, technophiles ambitieux, sceptiques technologiques, soutiens de famille en difficulté et marginaux passifs. Chaque groupe interagit différemment avec la technologie et les services numériques, et chacun a son idée quant à la façon dont le gouvernement peut profiter de l’occasion pour mieux communiquer avec ses citoyens. Nous avons ensuite recommandé quatre secteurs prioritaires pour les gouvernements : élaboration de politiques novatrices et agiles, virage numérique inclusif, utilisation responsable des données, et participation et engagement du public.

(Chapter breaker)
1

Chapitre 1

L’ère du citoyen hyperconnecté

L’adoption du numérique est inévitable, mais les préoccupations au sujet de l’équité et de l’accès demeurent.

À l’instar de nombreuses entreprises qui ont recours à d’immenses ressources en marketing pour faire des recherches sur leur clientèle, nous pensons que les gouvernements devraient d’abord mieux comprendre les besoins, les comportements, les valeurs et les attentes en évolution de leurs citoyens. Voilà le motif de l’étude Connected Citizens (voir « À propos de l’étude » pour la méthodologie). 

Bien que nous n’avions pas prévu d’examiner l’incidence de la pandémie de COVID‑19 sur la vie des gens, le moment où nous avons réalisé l’étude a influencé le taux de satisfaction des citoyens relativement à la qualité de vie dans tous les pays sondés.

Les citoyens affirment se sentir moins satisfaits de leur qualité de vie

71 %

des répondants se disaient satisfaits de leur qualité de vie avant la pandémie.

48 %

des répondants se disent satisfaits de leur qualité de vie aujourd’hui.

Les gens se préoccupent surtout de subvenir à leurs besoins fondamentaux, comme accéder à des soins de santé de haute qualité et se sentir en sécurité dans leur collectivité. Il n’est pas surprenant de constater que, dans le contexte actuel, l’état de l’économie et la sécurité d’emploi sont parmi leurs principales préoccupations. Près de la moitié des répondants sont préoccupés par la sécurité financière (de 37 % en Inde à 60 % en Malaisie), alors que 37 % disent « avoir un emploi stable et payant » et « vivre dans un pays dont l’économie est forte ».

Rôle omniprésent de la technologie

Une des conséquences les plus frappantes de la pandémie est le recours croissant à la technologie au quotidien. En quelques mois seulement, nous avons vu comment elle a transformé la façon dont les gens travaillent, se divertissent, magasinent, apprennent et socialisent. Notre sondage révèle que la plupart des gens s’attendent, dans l’avenir, à utiliser davantage la technologie qu’avant la pandémie.Parmi les citoyens sondés, 64 % estiment que la pandémie de COVID‑19 accroîtra le recours à la technologie au quotidien, cette attente étant plus généralisée dans certains pays en développement.

Les gens considèrent la technologie comme essentielle à l’amélioration de nombreux aspects de leur vie. Les gouvernements ont certes accéléré le virage numérique de plusieurs services publics, mais ils continuent d’accuser un retard par rapport au secteur privé – lequel offre des services comme les achats et les transactions bancaires en ligne – pour ce qui est des améliorations attendues à la prestation de services (les services de soins de santé sont néanmoins perçus de manière plus favorable).

Ces attentes moins élevées peuvent refléter une expérience récente. À l’échelle mondiale, environ seulement la moitié des citoyens (53 %) croient que les gouvernements et les services publics ont utilisé efficacement la technologie numérique pour faire face à la pandémie. Pourtant, les perceptions diffèrent considérablement selon le pays : 88 % des citoyens en Malaisie et 80 % des citoyens en Inde disent que leur gouvernement a tiré parti efficacement de la technologie en comparaison de seulement 36 % en France et de 29 % au Japon.

Il est évident que les gouvernements ont encore beaucoup à faire dans leur virage numérique pour répondre aux attentes de leurs citoyens.

Les grandes préoccupations touchant l’incidence de la technologie

Notre sondage a révélé que les gens adoptent des attitudes complexes face à la technologie, même si celle‑ci est omniprésente dans leur vie. La plupart des gens (environ 72 % des citoyens ayant répondu au sondage à l’échelle mondiale) estiment qu’elle améliore leur vie et qu’elle sera nécessaire pour résoudre des problèmes de plus en plus complexes dans l’avenir. Toutefois, son incidence globale suscite bien des préoccupations, notamment : 

  • Accroissement des inégalités sociales : Souvent, les citoyens les plus démunis n’ont pas les moyens d’avoir accès à la nouvelle technologie et ne possèdent pas les compétences numériques pour l’utiliser. Le recours à la prise de décisions algorithmiques, avec de possibles biais inhérents, pose un autre risque. À l’échelle mondiale, près du tiers des citoyens (32 %) croient que les divers groupes de la société ne bénéficieront pas de manière égale des avantages de la technologie. Et 34 % pensent que la technologie donne plus de pouvoir aux personnes qui sont déjà riches et puissantes.
  • Perte d’interaction humaine : Le recours accru à la technologie comme moyen de communication suscite de l’inquiétude quant à son incidence sur la cohésion sociale. Dans le monde, 32 % des citoyens pensent que la technologie fera en sorte que les gens se sentiront moins liés à leur collectivité. Dans un monde plus virtuel que jamais, la perte de réseaux de soutien physique peut accentuer l’isolement des groupes les plus vulnérables. 
  • Empiétement potentiel sur la vie privée et la sécurité numérique : De plus en plus de gens et d’appareils étant connectés, le volume et la variété des données créées devraient augmenter, ainsi que la vitesse à laquelle elles sont recueillies. Cela cause de l’anxiété au sein de la population concernant la vie privée et l’absence de contrôle sur la façon dont les données des gens sont utilisées. Plus de quatre citoyens sur dix sont contre le partage des données, que ce soit avec le gouvernement ou des entreprises du secteur privé. Près des trois quarts (72 %) s’opposent à la vente par le gouvernement de leurs données personnelles à une entreprise du secteur privé, même si c’est pour obtenir des fonds permettant de mieux financer les services publics ou des réductions d’impôts.

Certaines de ces préoccupations peuvent découler de la perception que le rythme des avancées technologiques est tout simplement trop rapide. Bien que certains sont ravis d’avoir les outils que leur fournit la technologie, d’autres se sentent dépassés et anxieux. La technologie est‑elle façonnée par le gouvernement et la société ou est‑ce l’inverse? Dans certains cas, il est vraiment trop tôt pour comprendre les avantages que procurent certaines nouvelles technologies et les risques qu’elles comportent.

Cependant, les gouvernements doivent aller au‑devant de ces préoccupations s’ils veulent exploiter le potentiel des données et de la technologie. De faibles taux d’adoption de la technologie peuvent nuire à l’économie des pays, à leur capacité à livrer concurrence à l’échelle internationale et, par conséquent, à leur prospérité future. Les gouvernements doivent adopter des approches axées sur les données pour comprendre les besoins des citoyens, cibler les services de manière proactive, évaluer les politiques publiques complexes et obtenir de meilleurs résultats pour les citoyens d’une façon plus rentable.

À l’échelle mondiale, près du tiers des citoyens (32 %) croient que les divers groupes de la société ne bénéficieront pas de manière égale des avantages de la technologie. Et 34 % pensent que la technologie donne plus de pouvoir aux personnes qui sont déjà riches et puissantes. Le sondage a révélé que les programmes gouvernementaux axés sur les compétences permettant aux gens d’utiliser et de comprendre les nouvelles technologies jouissent de l’appui général des citoyens : 61 % des répondants ont affirmé qu’ils auraient probablement recours à des programmes de formation gouvernementaux en vue d’améliorer leurs compétences numériques, s’ils étaient offerts. Le niveau d’intérêt varie selon le pays, de 39 % au Japon à 83 % en Inde.

Les gouvernements peuvent également en faire plus pour expliquer aux citoyens les avantages de partager les données et leur démontrer qu’elles seront utilisées de manière responsable. Le sondage révèle que les gens appuient l’utilisation des données lorsqu’on leur explique clairement l’usage qui en sera fait et les avantages pour eux ou la société. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de santé publique. Par exemple, l’utilisation des données personnelles afin d’assurer le suivi de maladies et leur prévention (appuyée par 52 % des citoyens à l’échelle mondiale) ou d’établir des priorités pour les services de santé locaux (appuyée par 48 %).

Le manque de confiance des citoyens est un autre défi que doit relever le gouvernement. Même si le taux de satisfaction à l’égard des services publics est bon en général (particulièrement pour la santé, l’éducation et les services locaux), le taux de confiance dans les gouvernements nationaux et locaux est considérablement plus bas (respectivement 33 % et 36 %). Les résultats à l’échelle mondiale révèlent d’importantes différences entre les pays. Les taux de confiance dans le gouvernement national sont de 63 % en Inde, 46 % en Australie, 29 % en France, 27 % au Royaume‑Uni, 26 % aux États‑Unis, et de seulement 19 % en Afrique du Sud et 18 % au Mexique.

Il sera essentiel d’instaurer un climat de confiance dans les institutions gouvernementales en vue d’améliorer l’efficience et l’efficacité des activités gouvernementales et de tirer parti des initiatives des citoyens pour améliorer la conception et la prestation de services.

Les citoyens sont très motivés à interagir davantage avec le gouvernement.

Il est clair que les citoyens sont tout à fait disposés à participer davantage à la prestation de services publics dans l’avenir. Plus d’un tiers affirment qu’une transparence accrue en matière d’exécution est l’une des principales priorités pour améliorer la qualité des services publics, ce qui leur permettrait de demander des comptes aux gouvernements. Et 42 % souhaiteraient avoir droit de parole sur la prestation de services publics de leur région ou y participer davantage, ou y prennent part déjà de manière active.

(Chapter breaker)
2

Chapitre 2

Sept personas de citoyens qui reflètent la diversité de la vie

Les gouvernements qui comprennent ces personas peuvent établir une relation de confiance plus solide avec leurs citoyens.

Les résultats du sondage révèlent la complexité des attitudes, des valeurs, des besoins et des comportements des citoyens dans le monde entier. Les données nous ont permis de définir sept personas de citoyens avec lesquels les gouvernements devront composer dans l’avenir.

Sept personas de citoyens connectés

  • Battants diligents

    Il s’agit de jeunes qui désirent améliorer leur sort de manière proactive pour aller de l’avant. Ils s’attendent à des services gouvernementaux numériques continus qui les aident à atteindre leurs buts et ils acceptent le partage de leurs données avec les gouvernements. Ils croient fermement à l’égalité des chances pour tous.

  • Chefs de file compétents

    Indépendants, accomplis et satisfaits de leur vie, ce sont des technophiles pragmatiques qui s’adaptent à l’innovation numérique. Ils sont convaincus que les gouvernements utilisent leurs données de façon appropriée, mais se préoccupent du fait qu’elles peuvent tomber entre de mauvaises mains.

  • Défenseurs de la vie privée

    Ils ont tendance à être plus âgés, indépendants et à l’aise financièrement. Ils accordent de l’importance à la technologie et aux avantages qu’elle leur procure, mais sont extrêmement prudents pour ce qui est de partager leurs données personnelles avec le gouvernement ou des entreprises privées.

  • Technophiles ambitieux

    Jeunes citadins instruits. Motivés par la réussite et les nouvelles possibilités, ils ont recours à la technologie et aux données dans tous les aspects de leur vie. Ils sont enthousiasmés par les innovations numériques qui ont le potentiel de donner des moyens aux gens et d’améliorer la société.

  • Sceptiques technologiques

    Plus âgés, touchant un revenu plus faible et relativement insatisfaits de leur vie, ils ne font pas confiance au gouvernement et sont sceptiques quant aux avantages que leur procure la technologie. Ils ont tendance à s’opposer au partage de données, même si l’objectif est clair.

  • Soutiens de famille en difficulté

    Il s’agit de jeunes ayant tendance à occuper des emplois mal rémunérés et moins sûrs. Ils ont recours plus que la moyenne à l’aide sociale. Ils sont ambivalents à l’égard de la technologie, n’y ont pas accès ou ne possèdent pas les compétences pour que celle‑ci améliore considérablement leur qualité de vie.

  • Marginaux passifs

    Ils ont les revenus et les niveaux de scolarité les plus faibles. Ils sont en marge du monde connecté et sont en général réfractaires au changement. Ils sont relativement ambivalents à l’égard du partage de données, mais ont tendance à croire que les risques l’emportent sur les avantages.

Ils partagent plusieurs caractéristiques, mais ils sont également différents à de nombreux égards, et leur présence varie considérablement selon le pays.

Un des facteurs de différenciation les plus frappants parmi les personas, ce sont les attitudes à l’égard de la technologie et de la prestation de services numériques. Bien que les répondants à notre sondage soient des internautes, leur degré de confiance varie lorsqu’ils font l’expérience d’une nouvelle technologie. Soixante‑dix pour cent ou plus des répondants des générations Z, Y et X affirment être des utilisateurs confiants, en comparaison de 61 % pour les baby‑boomers plus âgés. Pourtant, lorsque nous examinons les sept segments, la différence est flagrante. Chez les technophiles ambitieux, 87 % sont des utilisateurs confiants, contre respectivement 46 % et 40 % pour les marginaux passifs et les soutiens de famille en difficulté.

De même, il existe des différences importantes entre tous les segments pour ce qui est de l’attitude des gens à l’égard du partage de données. Les technophiles ambitieux, les chefs de file compétents et les battants diligents sont plus à l’aise de partager leurs données pour accéder à un service ou effectuer une transaction en ligne, et de les partager avec le gouvernement et des entreprises privées. Les sceptiques technologiques expriment toutefois des inquiétudes légitimes à l’égard des risques liés au partage de données.

Pourquoi est‑ce important? Le passage d’une approche universelle de prestation de services à une approche davantage axée sur la personnalisation est essentiel pour améliorer l’élaboration des politiques publiques, offrir des services publics plus efficients et efficaces, et renforcer la relation entre le gouvernement et ses citoyens. Par exemple, qu’advient‑il des soutiens de famille en difficulté – qui ont peut‑être le plus besoin d’aide – si les canaux numériques sont la seule façon d’accéder à certains services? Pourraient-ils être privés de services ou de possibilités et assister à une aggravation des inégalités structurelles dont ils sont victimes?

Il s’agit d’une considération importante pour les gouvernements dans le cadre de leur transition vers une approche de « transformation intrinsèquement numérique » et de « transformation numérique par défaut » en matière de prestation de services. Les personas (personnalités types) suivantes peuvent aider les gouvernements à veiller à ce que les services numériques et les politiques de protection des données soient conçus adéquatement pour tous les groupes.

(Chapter breaker)
3

Chapitre 3

Quatre priorités pour les gouvernements

Prendre des mesures pour répondre aux besoins des citoyens et les faire participer à titre de coproducteurs de valeur publique.

Les gouvernements peuvent adopter une approche à plusieurs volets pour répondre aux besoins des gens en mettant l’accent sur quatre secteurs :

1. Élaboration de politiques novatrices et agiles

Les gouvernements pourraient instaurer des politiques plus agiles et plus novatrices qui ciblent les préoccupations de divers groupes. Par exemple :

  • De nouveaux filets de sécurité sociale destinés aux citoyens défavorisés à faible revenu (comme le revenu minimum garanti ou le revenu de base universel), et des approches d’investissement social pouvant aider les gouvernements à anticiper les besoins de la population et à prendre des mesures préventives avant qu’une crise frappe.
  • De nouvelles politiques visant à contrer l’insécurité financière pour les personnes ayant un emploi précaire, comme les travailleurs indépendants et les travailleurs de l’économie à la demande, y compris des règles plus claires sur le statut d’emploi et les droits liés à l’emploi, et des régimes d’avantages sociaux transférables qui permettent de maintenir la couverture lorsque les travailleurs déménagent, changent d’employeur, sont en chômage ou sont travailleurs indépendants.
  • Des programmes de recyclage et de formation, offerts tout au long de la vie, plus agiles, qui aident les travailleurs à demeurer au fait et concurrentiels, des feuilles de route pour l’acquisition de compétences permettant aux gouvernements de comprendre les compétences et les emplois qui seront nécessaires dans l’avenir et des comptes d’apprentissage personnel qui fournissent aux travailleurs les fonds pour se recycler et des politiques d’intervention sur le marché du travail qui aident les chômeurs et les travailleurs à faible revenu à trouver un emploi ou à le conserver.
  • Des mesures visant à améliorer le régime de retraite, notamment en encourageant les gens à participer activement à la planification de leur retraite, en offrant des régimes plus simples et plus souples liés à de meilleurs conseils ou à de meilleures orientations et en augmentant les incitatifs ou même en adoptant des lois qui encouragent le secteur privé à contribuer davantage aux coûts des régimes de retraite.

 

2. Virage numérique inclusif

Le virage numérique est nécessaire afin de permettre une transformation rapide des services publics susceptibles de fournir aux citoyens le même niveau de service que celui offert par le secteur privé. Les gouvernements doivent cependant faire cette transition d’une manière qui amène la société à un niveau supérieur sans que personne ne soit laissé pour compte.

Les investissements dans l’infrastructure numérique haute vitesse, y compris les réseaux 5G et la large bande, doivent assurer la connectivité dans toutes les régions d’un pays. Les gouvernements peuvent également fournir aux gens des appareils (comme des ordinateurs portables et des tablettes) et lancer des programmes visant à améliorer leurs connaissances numériques afin qu’ils aient les compétences et la confiance leur permettant d’interagir avec les services numériques. Toutefois, les gouvernements devront aussi veiller à ce que les personnes qui ne sont pas encore connectées puissent accéder aux services d’autres façons.

Les citoyens qui sont déjà à l’aise avec la technologie ont de plus grandes attentes relativement à la prestation de services, en matière de qualité, de vitesse, d’aspect pratique et de valeur. Les gouvernements peuvent répondre à leurs besoins au moyen de plusieurs mesures :

  • Des numéros d’identité numérique uniques qui permettent à tous les citoyens d’accéder plus facilement à un éventail de services grâce à différents canaux numériques
  • Des portails intelligents et des applications mobiles qui offrent un point d’accès unique à nombre de services gouvernementaux, ainsi que des messages et des mises à jour en temps opportun
  • Des services de type « une fois suffit » afin que les gens n’aient pas à remplir plus d’un formulaire pour fournir leurs renseignements personnels lors de différentes transactions gouvernementales
  • Des plateformes numériques intégrées qui permettent de partager des données dans divers systèmes gouvernementaux pour créer un aperçu complet du citoyen et organiser des services en fonction de ses besoins et des événements qui se produisent dans sa vie
  • Le traitement de bout en bout entièrement numérique des demandes de services pour permettre une prestation plus rapide
  • Des plateformes interactives, comme des robots conversationnels reposant sur l’intelligence artificielle, pour interagir avec les citoyens, répondre rapidement à des questions et effectuer des transactions
  • Une véritable expérience omnicanal, permettant aux gens d’accéder aux services sur un éventail de plateformes au moyen de divers appareils

 

La conception créative, les laboratoires d’expérience client et l’analyse de données aideront les gouvernements à concevoir leurs services en vue d’améliorer et d’accélérer les contacts, et de les rendre plus efficaces, en plus de faire la transition vers une prestation de services prévisionnelle plus proactive.

 

3. Utilisation responsable des données

Nous produisons et stockons plus de données que jamais, et il y a maintenant des outils qui les analysent pour le bien public.

Malheureusement, l’utilisation accrue des données suscite beaucoup de discussions et de controverse. Il faut de nouveaux cadres réglementaires, juridiques et de gouvernance qui permettent aux pays de tirer parti des possibilités tout en gérant les risques potentiels pour les citoyens. Par exemple, les décideurs devront examiner sérieusement les enjeux, comme la protection des données, la technologie de surveillance, les inégalités faisant partie intégrante des algorithmes et l’intégrité de l’écosystème de l’information.

Les gouvernements renforcent déjà les règlements qui régissent l’utilisation des données personnelles. Et certains gouvernements vont plus loin avec des cadres juridiques qui confèrent aux gens un contrôle actif sur leurs données et le droit de savoir ce qui advient de celles‑ci.

Les organismes de réglementation doivent également tenir compte de la façon dont les organisations utilisent les données dans leurs systèmes d’intelligence artificielle. Les gens s’intéressent depuis peu aux problèmes liés à la prise de décisions algorithmique, qui a mené à une mauvaise prise de décisions ou à de la discrimination à l’égard de certains groupes. Le contexte réglementaire doit bâtir la confiance dans ces nouvelles technologies en évolution.

Sur le plan institutionnel, les gouvernements, les fournisseurs de services publics, les entreprises et d’autres organisations auront besoin de structures de gouvernance transparentes pour protéger les droits des gens en matière de données. Par exemple, des protocoles devront être créés pour définir le but et la base du partage des données. Elles pourraient également s’engager à fournir l’information sur le système de prise de décision automatisée qu’elles utilisent, leur objectif et les protections en place.

Alors que les organisations adoptent de bonnes pratiques en matière de conception et de gouvernance éthiques, les gouvernements seront mieux équipés pour atténuer les risques, se protéger contre des résultats néfastes et bâtir la confiance nécessaire pour optimiser les avantages potentiels des données.

4. Participation et engagement publics

Dans l’avenir, les modèles de gouvernance descendants ne seront plus considérés comme légitimes ou efficaces. Nombre de citoyens s’attendent à ce que la prise de décisions soit partagée, ouverte et participative.

Les gouvernements ont l’occasion de faire participer les citoyens à la résolution des enjeux qui les intéressent. De nouveaux outils de participation numérique, comme les médias sociaux, les applications mobiles et les plateformes numériques en ligne leur permettront de recueillir les commentaires des citoyens à plus grande échelle, fournissant des informations qui enrichiront les politiques et la prise de décisions gouvernementales.

Par ailleurs, les gouvernements peuvent s’assurer de ne pas seulement consulter les gens, mais également de leur donner les moyens d’influencer les décisions qui les concernent. Nombreux sont ceux qui expérimentent divers modèles de participation pour déterminer un large éventail de sujets, en débattre et prendre des décisions à leur égard. Par exemple, en Australie, en Irlande et dans d’autres pays, on a recours à des jurys de citoyens délibératifs pour créer en collaboration des solutions à des problèmes sociaux et économiques complexes.

Les initiatives budgétaires participatives qui permettent aux citoyens de décider de la façon d’affecter les fonds publics suscitent de plus en plus d’intérêt. On a établi plus de 180 laboratoires de politiques à l’échelle mondiale afin de faire germer des idées et de fournir un banc d’essai pour des politiques dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la justice. Les marathons de programmation organisés par les gouvernements se sont avérés être une manière efficace de trouver de nouvelles solutions aux défis économiques, sociaux et technologiques posés par la pandémie de COVID‑19.

La plupart des gouvernements et des autorités publiques dans le monde lancent des initiatives de données ouvertes et mettent en place des plateformes d’échange de données. L’accent est mis sur la disponibilité des données pour les tiers, y compris les citoyens, afin d’aider à élaborer de nouvelles solutions à des problèmes complexes tout en améliorant la transparence et la responsabilisation.

Ce seront des initiatives essentielles qui aideront les gouvernements à mieux servir tous les citoyens dans un monde connecté.

Apprenez à connaître les citoyens connectés

Les progrès en matière de données et de technologie permettent aux gouvernements de mieux servir leurs citoyens. Cependant, comme dans toute transformation, il existe un risque inhérent : que l’objectif d’un virage numérique rapide et en profondeur entraîne l’adoption d’une approche universelle qui ne convient qu’à quelques‑uns, laissant dans son sillage un nombre encore plus grand de citoyens déconnectés et isolés de leur gouvernement. L’étude des sept personas de citoyens connectés aidera les gouvernements à prévoir des mécanismes de prestation de services numériques qui répondent à tous leurs besoins. Ce faisant, ils peuvent devenir plus efficaces et efficients, prévenir l’exclusion numérique pour réduire les inégalités sociales et bâtir un monde meilleur, plus équitable, pour tous.

Résumé

Nombre de citoyens sont ouverts à ce que les services publics soient davantage fondés sur les données et la technologie et à tenir un plus grand rôle dans la manière dont ces services sont conçus et offerts. Ainsi, la relation entre les gouvernements et leurs citoyens et la confiance qui est essentielle à un gouvernement efficace pourront être renforcées. Le défi est de ne pas négliger les groupes qui n’ont pas accès à Internet. Pour réagir de manière efficace, il importe que les gouvernements aient recours à la conception de politiques novatrices, au virage numérique inclusif, à une meilleure utilisation des données et à l’engagement participatif des citoyens.

À propos de cet article

Par Arnauld Bertrand

Leader mondial d’EY, Consultation, Gouvernement et secteur public

Travailler avec les gouvernements afin de consolider les administrations et d’avoir des politiques publiques percutantes. Passionné par la direction d’équipe afin de favoriser la performance, l’innovation et le service du secteur public.