30 minutes de lecture 2 juin 2022
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Questionsfiscales@EY – juin 2022

Par EY Canada

Organisation de services professionnels multidisciplinaires

30 minutes de lecture 2 juin 2022

Questionsfiscales@EY 
est un bulletin canadien mensuel qui vous aide à rester au fait des nouveautés en fiscalité, de l’évolution jurisprudentielle, des publications et plus encore. Des questions liées à la fiscalité des particuliers et des entreprises aux nouveautés législatives et jurisprudentielles, nous vous présentons l’information d’actualité pertinente.

Votre pire obligation fiscale serait-elle celle que vous ne voyez pas?

Les questions fiscales nous concernent tous. Nous avons compilé des nouvelles et de l’information sur des sujets d’actualité en fiscalité pour vous tenir à jour.
Dans ce numéro, nous examinons :


(Chapter breaker)
1

Chapitre 1

L’accès élargi au crédit d’impôt pour frais médicaux permettra aux employeurs d’offrir plus facilement des avantages non imposables à leurs employés relativement aux traitements de fertilité et à la maternité de substitution

 

Caitlin Morin et Lawrence Levin, Toronto

Déposé le 7 avril 2022, le budget fédéral propose d’étendre le crédit d’impôt pour frais médicaux (le « CIFM ») à certains frais engagés relativement à une mère porteuse ou à un donneur de sperme, d’ovules ou d’embryons1.

En plus de rendre le CIFM accessible aux contribuables qui doivent payer les frais médicaux de mères porteuses et de donneurs pour devenir parents, ces modifications permettront aux employeurs d’offrir plus facilement des avantages non imposables à leurs employés relativement aux traitements de fertilité et à la maternité de substitution, dans le cadre d’un régime privé d’assurance-maladie (« RPAM »). Alors qu’ils cherchent de nouveaux moyens d’attirer les talents et de répondre aux besoins uniques des employés d’aujourd’hui, les employeurs sont de plus en plus nombreux à intégrer de tels avantages à leur programme d’avantages sociaux.

Contexte

Aux fins de l’impôt canadien, tout avantage reçu par un employé dans le cadre de son emploi est généralement imposable dans l’année où il est reçu, sauf s’il répond aux conditions d’application de l’une des exceptions à cette règle. Bien qu’aucune exception ne soit prévue en ce qui concerne le remboursement de frais au titre des traitements de fertilité et de la maternité de substitution, une exception est prévue à l’égard des avantages qui résultent des cotisations que l’employeur du contribuable verse dans le cadre d’un RPAM. Les cotisations que l’employeur verse au titre d’un RPAM ne constituent pas un avantage imposable pour l’employé, et celui-ci ne paie pas d’impôt sur les prestations qu’il reçoit dans le cadre d’un RPAM.

Régime privé d’assurance-maladie

Un RPAM est défini au paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») comme un contrat d’assurance pour frais d’hospitalisation ou frais médicaux (ou les deux), ou un régime d’assurance-maladie ou d’assurance-hospitalisation (ou un régime combiné d’assurance-maladie et hospitalisation), à l’exception de certains régimes d’assurance provinciaux ou fédéraux.

L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») considère qu’un régime constitue un RPAM lorsque certains critères sont remplis, notamment lorsque le régime comprend une composante assurance et que « la totalité ou la presque totalité » (90 % ou plus, en général) des primes d’assurance versées dans l’année civile se rapportent à des frais médicaux admissibles aux fins du CIFM2. Un régime autogéré répondra au critère de « la totalité ou la presque totalité » pour une année civile si la totalité ou la presque totalité des prestations versées à l’ensemble des employés dans l’année se rapportent à des frais médicaux admissibles aux fins du CIFM.

L’ARC considérera généralement qu’un régime de prestations qui ne répond pas aux critères relatifs aux RPAM est un régime de prestations aux employés (« RPE »). Un RPE est un mécanisme dans le cadre duquel l’employeur ou une personne avec qui celui-ci a un lien de dépendance verse des cotisations à une autre personne (soit le dépositaire du RPE) et en vertu duquel des paiements seront faits à des employés ou anciens employés de l’employeur. Toutes les prestations versées dans le cadre d’un RPE doivent être incluses dans le revenu d’emploi de l’employé dans l’année où celui-ci les a reçues, sous réserve de quelques exceptions3.

Crédit d’impôt pour frais médicaux

Le CIFM est un crédit d’impôt non remboursable de 15 % qui s’applique à l’égard de certains frais médicaux ou dépenses liées à une invalidité. Pour 2022, le CIFM est offert à l’égard des frais médicaux admissibles qui dépassent le moins élevé des montants suivants : 2 479 $ et 3 % du revenu net du particulier. Un contribuable peut seulement réclamer la partie non remboursée de ses frais médicaux, à moins que le remboursement ne soit inclus dans le revenu imposable.

Pour être admissibles aux fins du CIFM, les frais médicaux doivent répondre aux conditions de l’article 118.2 de la LIR. Les frais admissibles aux fins du CIFM comprennent actuellement les procédures liées à la fertilité et les programmes d’insémination artificielle ou de fécondation in vitro, entre autres. Toutefois, à l’heure actuelle, le CIFM n’est pas offert aux contribuables qui doivent payer les frais médicaux d’autres personnes afin de devenir parents, notamment les frais engagés pour obtenir des ovules ou du sperme d’un donneur ou ceux engagés relativement à une mère porteuse. Il en est ainsi parce que les frais admissibles aux fins du CIFM doivent généralement être engagés pour des services reçus par le « patient », terme défini comme désignant le contribuable, l’époux ou le conjoint de fait du contribuable ou certaines personnes à charge du contribuable.

Avantages offerts par l’employeur relativement aux traitements de fertilité et à la maternité de substitution

En vertu des règles actuelles, il peut s’avérer difficile pour un régime qui offre des prestations au titre des traitements de fertilité et de la maternité de substitution de remplir les critères pour être considéré comme un RPAM et, par le fait même, pour un employeur d’offrir de tels avantages en franchise d’impôt. En effet, si plus de 10 % des primes ou des prestations versées se rapportent à des frais de donneur ou de mère porteuse (et à tous autres frais non admissibles aux fins du CIFM), le régime en question ne sera pas un RPAM. Si le régime ne peut être considéré comme un RPAM, toutes les prestations reçues par des employés dans le cadre du régime seront probablement imposées à titre de prestations versées dans le cadre d’un RPE.

Proposition du budget fédéral de 2022

Le budget de 2022 propose d’élargir la définition de « patient » aux fins du CIFM dans les cas où un particulier s’en remet à une mère porteuse ou à un donneur de sperme, d’ovules ou d’embryons pour devenir parent. La proposition permettrait à certains frais médicaux d’être admissibles aux fins du CIFM. Les frais admissibles seraient notamment ceux engagés au Canada et payés par le contribuable, son époux ou son conjoint de fait, relativement à une mère porteuse (p. ex., les frais payés par le futur parent à une clinique de fertilité pour une procédure de fécondation visant une mère porteuse) ou un donneur de sperme, d’ovules ou d’embryons.

En outre, le budget de 2022 propose de rendre admissibles au CIFM les remboursements versés par le contribuable à un patient, au sens de cette définition élargie, pourvu que ces remboursements soient effectués à l’égard de frais qui seraient généralement admissibles au CIFM (p. ex., remboursements effectués par le contribuable pour des frais engagés par une mère porteuse relativement à une procédure de fécondation in vitro ou à un médicament d’ordonnance lié à la grossesse). Le CIFM viserait également les frais payés à des cliniques de fertilité ou à des banques de donneurs en vue d’obtenir du sperme ou des ovules pour devenir parent.

Ces mesures s’appliqueraient aux frais engagés au cours des années d’imposition 2022 et suivantes. Les dispositions législatives mettant en œuvre ces mesures n’ayant pas encore été publiées au moment où ces lignes sont écrites, il est peu probable qu’elles entreront en vigueur avant la fin de l’année.

Ces modifications réduiront le risque qu’un régime qui offre des prestations au titre des traitements de fertilité et de la maternité de substitution ne puisse être considéré comme un RPAM au motif que plus de 10 % des primes ou des prestations versées se rapportent à des frais engagés à l’égard de particuliers qui ne sont pas les futurs parents. Le régime devra toujours répondre aux critères relatifs aux RPAM pour que les employés n’aient pas à payer d’impôt sur les prestations qui leur sont versées dans le cadre du régime, y compris les prestations au titre des traitements de fertilité et de la maternité de substitution.

Conclusion

Les employeurs qui offrent des avantages relatifs aux traitements de fertilité et à la maternité de substitution, et ceux souhaitant intégrer de tels avantages à leur programme d’avantages sociaux, devraient savoir qu’ils pourraient être en mesure d’offrir plus facilement ces avantages en franchise d’impôt à leurs employés dans le cadre d’un RPAM si ces modifications sont adoptées. Les employeurs devraient consulter leur conseiller en fiscalité ou leur conseiller juridique pour déterminer si leur régime de prestations constitue un RPAM.

  • Afficher les références des articles# 
    1. Voir le bulletin FiscAlerte 2022 numéro 23 d’EY.
    2. Voir les documents d’interprétation technique de l’ARC nos 2016-0636871E5, 2015-0610751C6 et 2017-0718661E5.
    3. Voir la définition de « régime de prestations aux employés » au paragraphe 248(1), à l’alinéa 6(1)g) et au paragraphe 6(10) de la LIR.

  

(Chapter breaker)
2

Chapitre 2

Revoyez votre stratégie de prêt au taux prescrit avant le 1er juillet 2022

 

Alan Roth, Toronto

Contexte

Compte tenu de la prévalence de taux marginaux d’impôt sur le revenu des particuliers (fédéraux et provinciaux) plus élevés au cours des dernières années, les particuliers au Canada cherchent peut-être une façon efficace de fractionner leur revenu avec des membres de la famille qui sont dans une fourchette d’imposition inférieure.

Les faibles taux d’intérêt offrent une occasion de planification fiscale à quiconque s’intéresse au fractionnement du revenu avec son époux (ou conjoint de fait), ses enfants ou ses petits-enfants dont le revenu est moindre. Cette planification fiscale pourrait être réalisée grâce à un prêt « au taux prescrit ». Malgré l’existence de règles qui restreignent certaines techniques de fractionnement du revenu au moyen de sociétés privées1, la stratégie de prêt au taux prescrit demeure une stratégie de fractionnement du revenu acceptable et efficace. La prudence s’impose toutefois lorsque l’on fractionne un revenu avec un membre de la famille qui peut être assujetti aux lois fiscales d’un autre pays (p. ex., un époux ou un conjoint de fait qui est citoyen des États-Unis).

Le taux d’intérêt applicable à ces prêts était de 1 % depuis le troisième trimestre de 2020. Comme on s’attend à ce que les récentes hausses des taux d’intérêt fassent augmenter le taux prescrit à 2 % le 1er juillet 2022, ce pourrait être l’occasion de cristalliser maintenant un avantage plus notable qu’après cette date.

Détermination du taux prescrit

Le taux d’intérêt prescrit pour les nouveaux prêts est fixé chaque trimestre civil, en fonction du taux moyen des bons du Trésor de la Banque du Canada à trois mois vendus au cours du premier mois du trimestre civil précédent, arrondi au point de pourcentage entier supérieur2. Lorsque le taux moyen des bons du Trésor à trois mois dépassera 1 %, le taux d’intérêt prescrit passera de 1 % à 2 %.

La moyenne des taux publiés pour avril 2022 (1,02 % et 1,38 % respectivement les 12 et 26 avril)3 dépasse 1 %; par conséquent, le taux du troisième trimestre, qui commence le 1er juillet 2022, devrait être de 2 %4. En conséquence, le taux d’intérêt des prêts au taux prescrit contractés le 1er juillet ou après cette date sera le double de celui qui s’appliquera aux prêts contractés avant cette date.

Conclusion d’un prêt au taux prescrit

En général, dans le cadre d’une stratégie de prêt au taux prescrit, l’époux ou le conjoint de fait ayant le revenu le plus élevé prête de l’argent à l’autre, ou encore à une fiducie établie au profit de l’époux ou du conjoint de fait ou d’enfants ou de petits-enfants mineurs. Le produit du prêt est investi de sorte à obtenir un taux de rendement supérieur au taux prescrit. Le revenu net découlant des fonds investis (c.‑à‑d. le revenu, déduction faite des frais d’intérêts payés sur le prêt au taux prescrit) est imposable entre les mains des membres de la famille dont le revenu est plus faible à un taux d’imposition inférieur à celui qui s’appliquerait au prêteur. L’économie d’impôt correspond alors au revenu net multiplié par la différence entre les taux d’imposition des deux parties. Lorsque le taux prescrit est plus élevé, les placements doivent générer un taux de rendement supérieur pour réaliser les mêmes économies d’impôt.

Notons qu’une fois qu’un prêt au taux prescrit a été conclu, le taux d’intérêt applicable ne varie pas même si le taux prescrit publié change.

Pour s’assurer que les règles d’attribution du revenu ne s’appliquent pas5, les intérêts payables sur le prêt doivent être payés dans les 30 jours suivant la fin de chaque année civile. Le prêteur déclare les intérêts reçus à titre de revenu, tandis que l’emprunteur déclare le revenu de placement et déduit les intérêts dans l’année où ils sont effectivement payés.

Si vous ne disposez pas de liquidités pour un prêt, mais que vous avez un portefeuille de placements, vous pouvez vendre ces placements à des membres de votre famille, ou à une fiducie établie à leur profit, en contrepartie d’un prêt au taux prescrit correspondant à la valeur des placements à ce moment. Vous devrez déclarer le produit de disposition des placements à la juste valeur marchande dans votre déclaration de revenus des particuliers6. Bien que tout gain en capital résultant soit imposable, la déduction des pertes en capital subies pourrait être refusée aux termes des règles sur les pertes apparentes.

Aux fins d’une telle planification, le prêt est habituellement remboursable à vue et devrait être suffisamment souple pour que le remboursement de toute fraction du prêt puisse être effectué dans les 30 jours d’une demande à cette fin et que l’emprunteur ait le droit de le rembourser en tout temps sans préavis ni pénalité. Vous devriez consulter un conseiller juridique pour établir les modalités du billet à ordre. Un compte bancaire ou compte de courtage distinct peut être ouvert afin de préserver la désignation et la source des placements et du revenu qui en découle.

Refinancement d’un prêt au taux prescrit

Vous devez savoir que si le taux d’intérêt d’un prêt existant dont le taux d’intérêt a été fixé lorsque les taux étaient plus élevés est simplement changé pour l’actuel faible taux prescrit ou que le prêt est remboursé grâce à un nouveau prêt au taux prescrit, le nouveau prêt ne sera pas conforme, et les règles d’attribution s’appliqueront, de sorte que le prêteur devra déclarer tout revenu tiré des fonds prêtés.

Il existe des stratégies pour rembourser un prêt à cette fin sans que les règles d’attribution s’appliquent7. Par conséquent, si vous souhaitez refinancer un prêt au taux d’intérêt prescrit, consultez votre conseiller EY.

Mesures à prendre maintenant

Si vous envisagez de conclure un prêt au taux prescrit, vous pouvez encore le faire avant le changement de taux le 1er juillet 2022. Si ce prêt est correctement conclu, l’actuel taux d’intérêt de 1 % devrait s’appliquer pendant toute la durée du prêt.

Si vous envisagez cette stratégie ou toute autre stratégie mettant en cause un prêt au taux d’intérêt prescrit, consultez votre conseiller en fiscalité EY afin d’élaborer le plan le plus efficace dans votre situation particulière. N’oubliez pas d’obtenir des conseils professionnels, surtout si l’un des participants est assujetti à l’impôt aux États-Unis ou dans un autre pays, car la mise en œuvre de la stratégie susmentionnée pourrait avoir des conséquences imprévues.

  • Afficher les références des articles# 
    1. Les règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné limitent les possibilités de fractionnement du revenu avec les enfants et certains membres adultes de la famille pour les revenus provenant directement ou indirectement d’une société privée. Le revenu assujetti à l’impôt sur le revenu fractionné est imposé au taux marginal d’imposition du revenu des particuliers le plus élevé. Pour en savoir plus, consultez les numéros de février 2018, février 2020 et novembre 2020 du bulletin Questionsfiscales@EY.
    2. Article 4301 du Règlement de l’impôt sur le revenu.
    3. Source : Banque du Canada, bons du Trésor.
    4. Au moment où ces lignes sont écrites, la modification du taux n’avait pas été annoncée. Note du rédacteur : Le 27 mai, l’ARC a annoncé que le taux passait à 2 %.
    5. Dans certaines circonstances, il peut être souhaitable que les règles d’attribution s’appliquent (p. ex., lorsque le placement génère une perte).
    6. Si vous vendez les placements à un époux ou à un conjoint de fait, vous devrez renoncer au roulement aux termes du paragraphe 73(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
    7. Consultez le chapitre 9 du guide d’EY intitulé Comment gérer vos impôts personnels 2021-2022.

  

(Chapter breaker)
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Chapitre 3

La Cour fédérale rejette l’argument selon lequel une feuille de calcul reprend l’avis juridique fourni par l’avocat et est protégée par le secret professionnel de l’avocat

Canada (Revenu national) c. BMO Nesbitt Burns Inc., 2022 CF 157

Emily Gair, Vancouver, et David Robertson, Toronto

La Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») confère au ministre du Revenu national de vastes pouvoirs pour demander la production de livres, registres et documents aux fins de l’exécution et de l’application de la LIR. Ces pouvoirs ne sont toutefois pas illimités. Dans certaines circonstances, le ministre ne peut obtenir de renseignements ou de documents, notamment lorsque ceux-ci sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.

Dans cette affaire dont la Cour fédérale du Canada (la « CF ») a récemment été saisie, le ministre sollicitait, en vertu de l’article 231.7 de la LIR, une ordonnance enjoignant à la défenderesse, la société de placement, de se conformer à la demande de renseignements du ministre faite en vertu de l’article 231.1 de la LIR. Plus précisément, le ministre demandait à la défenderesse de fournir une copie non caviardée d’une feuille de calcul appelée le « modèle-maître de tarification sommaire » (le « modèle-maître »).

La défenderesse avait fourni une copie caviardée du modèle-maître, invoquant que les parties caviardées étaient protégées par le privilège des communications entre client et avocat (aussi appelé « secret professionnel de l’avocat » dans la traduction de la décision). Elle soutenait également, à titre subsidiaire, que la production de ces parties du modèle-maître ne devrait pas être ordonnée pour diverses raisons :

  • La demande du ministre était trop tardive, la vérification de l’année d’imposition visée étant terminée.
  • Le modèle-maître constituait des documents de travail sur l’impôt couru (« DTIC ») et sa production ne devait donc pas être ordonnée.
  • La production du modèle-maître minerait le processus de communication préalable dans des procédures connexes devant la Cour canadienne de l’impôt.

Dispositions législatives et jurisprudence pertinentes

Le paragraphe 231.1(1) de la LIR confère au ministre le pouvoir de demander et d’examiner les livres et registres d’un contribuable. L’article 231.2 est une disposition connexe en vertu de laquelle le ministre peut exiger, dans le cadre d’une demande péremptoire, qu’une personne fournisse des renseignements ou produise des documents. Si le ministre est d’avis que le contribuable ne s’est pas conformé à sa demande de renseignements en vertu de l’article 231.1 ou à sa demande péremptoire de renseignements en vertu de l’article 231.2, il peut, aux termes de l’article 231.7, demander au tribunal d’ordonner à la personne de fournir les renseignements ou documents exigés.

Suivant l’article 231.7, un juge peut ordonner au contribuable de fournir les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 si les conditions pour rendre une telle ordonnance sont réunies. L’une de ces conditions est que le privilège des communications entre client et avocat ne puisse pas être invoqué à l’égard des renseignements ou documents demandés.

Le privilège des communications entre client et avocat est notamment défini au paragraphe 232(1) de la LIR comme le « [d]roit [d’]une personne […] de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle-ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle […] ».

Outre la protection traditionnellement accordée aux communications entre un avocat et son client, les tribunaux ont imposé des limites additionnelles aux vastes pouvoirs du ministre au chapitre de la demande de production de documents. Plus particulièrement, dans l’affaire BP Canada Energy Company c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 61 (« BP »), la Cour d’appel fédérale a confirmé la « règle non écrite » selon laquelle le ministre ne peut pas exercer son pouvoir d’obtenir les DTIC de façon routinière. Elle y a décrit les DTIC, soulignant qu’ils « servent à consigner les positions fiscales incertaines et à prévoir les provisions qui permettront aux vérificateurs indépendants d’attester que les états financiers donnent une image fidèle de la situation financière de la société faisant l’objet de la vérification ». On comprend aisément que la communication régulière des DTIC permettrait au ministre d’orienter ses éventuelles vérifications.

Contexte

L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») effectue des vérifications annuelles de la société de placement, laquelle offre des services complets et est une filiale en propriété exclusive indirecte d’une banque. Dans le cadre de sa vérification portant sur l’année d’imposition 2016 de la société de placement, l’ARC avait transmis une demande de renseignements en vertu de l’article 231.1 de la LIR concernant certains livres, registres et documents, en lien avec des soupçons relatifs à des mécanismes de transfert de dividendes.

En réponse à la demande, la défenderesse avait invoqué le secret professionnel de l’avocat pour certaines parties des documents demandés, y compris le modèle-maître daté du 18 juillet 2016. Elle avait fourni le modèle-maître caviardé au ministre, en soulignant que la colonne caviardée contenant certains calculs reflétait les conseils juridiques lui ayant été fournis dans deux avis juridiques en 2012 et 2013. Plus précisément, il a été soumis en preuve que la colonne caviardée dans la feuille de calcul calculait les réserves, le cas échéant, à l’égard des opérations de rachat d’actions d’une manière conforme aux conseils juridiques en question et faisait partie des DTIC du groupe lié.

Le 28 mai 2021, après avoir reçu des réponses jugées insatisfaisantes à ses demandes de détails sur la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat, le ministre avait déposé, en vertu de l’article 231.7, une demande sommaire pour obtenir la copie non caviardée du modèle-maître.

Le 18 juin 2021, moins d’un mois plus tard et avant même que la date d’audition de sa demande sommaire ait été fixée par la CF, le ministre avait établi une nouvelle cotisation visant la société de placement à l’égard de ses opérations de rachat d’actions pour l’année d’imposition 2016 qui, selon lui, faisaient partie d’un mécanisme de transfert de dividendes.

Le 16 septembre 2021, la société de placement avait signifié au ministre un avis d’opposition à la nouvelle cotisation de 2016 du ministre. L’imposition correcte des opérations de rachat d’actions était également en cause dans les nouvelles cotisations établies par le ministre à l’égard de la société de placement et de sa société mère indirecte pour l’année d’imposition 2012, et ces nouvelles cotisations de 2012 avaient été portées en appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

Décision de la CF

Le secret professionnel de l’avocat ne s’applique pas aux renseignements caviardés

Dans sa décision, la juge Kane de la CF a conclu que le modèle-maître n’était pas protégé par le secret professionnel de l’avocat. S’appuyant sur le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Canada (Commissaire à l’information), 2013 CAF 104, la juge Kane a expliqué que les communications avocat-client s’inscrivent dans un continuum et que les résultats finaux des conseils juridiques ne font pas tous partie de ce continuum. Plus particulièrement, la juge Kane a affirmé que le résultat final n’est privilégié que dans la mesure où il « reprend strictement l’avis juridique fourni par l’avocat ».

En ce qui a trait précisément au modèle-maître, la juge Kane a insisté sur le fait que le modèle-maître « est un ensemble de calculs avec du texte connexe » qui « reflète la mise en œuvre opérationnelle, le résultat ou le produit final des conseils juridiques fournis ». Bien que le modèle-maître reflète la mise en œuvre opérationnelle ou le produit final des conseils juridiques, la juge Kane a conclu que la production d’une version non caviardée du modèle-maître ne divulguerait pas les conseils juridiques fournis à la société de placement, de sorte qu’elle n’était pas convaincue que le modèle-maître était protégé par le secret professionnel de l’avocat.

La CF devait examiner les conseils ou avis juridiques sous-jacents pour déterminer si le modèle-maître constitue une communication protégée par le privilège des communications entre client et avocat

Pour prendre sa décision, la juge Kane a examiné les deux avis juridiques fournis en 2012 et 2013 dans leur version non caviardée sous scellé.

Elle a reconnu qu’un tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner les communications avocat-client « de façon modérée » et seulement lorsque la nécessité de le faire a été établie. En l’occurrence, la juge Kane a estimé qu’il était nécessaire d’examiner les avis juridiques de 2012 et 2013, puisqu’il n’était pas possible de déterminer si le modèle-maître caviardé reflétait les conseils juridiques fournis en se fondant uniquement sur l’examen du modèle-maître.

La production du modèle-maître devait être ordonnée

La défenderesse présentait trois arguments subsidiaires en faveur de la non-divulgation du modèle-maître. Après examen de ces arguments, la juge Kane a conclu qu’il n’y avait aucun obstacle l’empêchant de rendre l’ordonnance en vertu de l’article 231.7 de la LIR en vue d’exiger la production du modèle-maître comme il avait été demandé en vertu de l’article 231.1 de la LIR.

La vérification visant l’année d’imposition 2016 de la société de placement n’était pas terminée et une enquête était toujours ouverte concernant la question des opérations de rachat d’actions

La défenderesse soutenait que la vérification du ministre visant les opérations de rachat d’actions de 2016 était terminée parce que le ministre avait délivré son avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2016 relativement à cette question.

Elle affirmait qu’une nouvelle cotisation établie par le ministre ou un avis d’opposition à la nouvelle cotisation menait à un examen impartial par la Division des appels de l’ARC, ce qui constitue un processus distinct assorti de pouvoirs de collecte de renseignements différents.  

La Division des appels de l’ARC étant désormais saisie du dossier, la défenderesse prétendait qu’il était trop tard pour que le ministre utilise ses pouvoirs d’exiger la production du modèle-maître en vertu des articles 231.1 et 231.7 de la LIR.

En réponse à ces arguments, la juge Kane a souligné qu’il n’y a pas de délai pour l’exercice par le ministre de ses pouvoirs en vertu des articles 231.1 ou 231.7. De plus, la juge n’était pas d’accord pour dire que « la vérification a[vait] pris fin à la délivrance de l’avis de nouvelle cotisation du ministre (juin 2021) », et elle n’était pas non plus d’avis que « l’avis d’opposition […] met[tait] fin au pouvoir du ministre en vertu des articles 231.1 ou 231.7 ». La juge Kane a donc indiqué que les demandes de renseignements n’étaient pas restreintes à la période préalable à la cotisation.

Même si le modèle-maître caviardé constituait un DTIC, il devait être produit

La défenderesse soutenait que le modèle-maître caviardé était un DTIC et s’appuyait sur l’arrêt BP pour affirmer que sa production ne devait pas être exigée. Dans BP, la Cour d’appel fédérale avait conclu que le fait de donner au ministre un accès sans restriction aux DTIC, sans qu’il ait à invoquer un motif particulier pour en justifier la production, imposerait aux contribuables l’obligation de fournir régulièrement au ministre leurs positions fiscales incertaines chaque année, ce qui, en fait, leur imposerait une obligation d’autovérification. En établissant que le ministre ne pouvait pas avoir de façon prospective un accès général et sans restriction aux DTIC, la Cour d’appel fédérale avait indiqué que « le ministre ne peut enjoindre aux contribuables qui tiennent des DTIC de s’acquitter des aspects fondamentaux des vérifications effectuées en vertu de la [LIR] ».

La juge Kane a souligné que la jurisprudence ultérieure était venue préciser que, lorsque la demande est présentée dans le contexte d’une vérification active de questions particulières et que la production des DTIC n’irait pas à l’encontre du principe selon lequel un contribuable n’est pas tenu de s’autovérifier, les DTIC pouvaient être produits (voir Canada (Revenu national) c. Atlas Tube Canada ULC, 2018 CF 1086).

La juge Kane a conclu que, dans la mesure où le modèle-maître constituait un DTIC, la société de placement n’avait pas établi que sa production lui imposerait une obligation d’autovérification à l’avenir ou que ses positions fiscales incertaines seraient révélées. Elle a par ailleurs affirmé que la production du modèle-maître devait être autorisée, car le modèle-maître était demandé pour l’objet précis indiqué dans le cadre de la vérification de 2016 concernant les conventions de rachat d’actions.

Le fait d’ordonner la production du modèle-maître ne minera pas indûment le processus de communication préalable ni ne contournera les règles de communication préalable de la Cour canadienne de l’impôt

En réponse à l’argument de la défenderesse voulant que le fait d’ordonner la production du modèle-maître minerait indûment le processus de communication préalable et contournerait les règles de communication préalable de la Cour canadienne de l’impôt, la juge Kane a simplement conclu que la Cour canadienne de l’impôt pouvait se pencher sur la portée de la communication préalable dans le contexte de ces procédures et pouvait traiter de tout argument selon lequel la production du modèle-maître avait porté préjudice à la société de placement ou à sa société mère indirecte dans leurs appels concernant l’année d’imposition 2012.

Leçons tirées

La défenderesse dans cette affaire a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale en mars 2022. Même si le raisonnement et l’analyse de la juge Kane paraissent solides, il sera intéressant de voir si la Cour d’appel fédérale accepte ses conclusions, surtout celle selon laquelle la vérification ne prend pas fin au moment de la délivrance des avis de nouvelle cotisation.

Il sera particulièrement intéressant de voir si la Cour d’appel fédérale traitera de la question de savoir comment les renseignements figurant dans le modèle-maître peuvent s’avérer pertinents « pour l’application et l’exécution » de la LIR, ce qui constitue une condition aux termes des dispositions visées de la LIR.

Étant donné que l’ARC avait déjà établi des cotisations à l’égard de l’année d’imposition visée, comment peut-on prétendre que les montants caviardés – à savoir les montants comptabilisés à titre de réserves par la contribuable – sont, d’une manière quelconque, pertinents pour déterminer le montant d’impôt que la contribuable doit payer? En termes très simples, si un contribuable a établi, à la lumière de conseils juridiques, qu’il n’avait pas d’impôt à payer à l’égard d’un élément donné et que l’ARC a établi une nouvelle cotisation lui réclamant à cet égard 100 $ au titre de l’impôt, en quoi le calcul des réserves comptables que le contribuable a constituées peut-il être pertinent pour déterminer le bon montant d’impôt à payer? Ce montant d’impôt à payer est soit de 0 $, soit de 100 $. La réserve comptable constituée par le contribuable n’a aucune incidence sur cette question.

De plus, si le dénouement actuel de cette affaire devant la CF est frustrant pour les contribuables, puisqu’il indique essentiellement que l’ARC peut toujours utiliser ses pouvoirs de vérification pour obtenir des renseignements et des documents du contribuable quand la question en jeu a déjà fait l’objet d’une cotisation et qu’elle est désormais entre les mains de la Division des appels de l’ARC, les contribuables devraient garder à l’esprit qu’ils peuvent également invoquer la Loi sur l’accès à l’information pour obliger l’ARC à divulguer d’autres renseignements dans le cadre du processus d’opposition et d’appel.

Enfin, pour certaines sociétés contribuables, cette question devient futile dans une certaine mesure. En effet, comme l’indique le bulletin FiscAlerte 2022 numéro 03 d’EY, le gouvernement fédéral a publié des propositions législatives instaurant diverses règles de divulgation obligatoire. En outre, certaines des règles proposées censées entrer en vigueur en 2022 exigent que certaines sociétés contribuables déclarent des traitements fiscaux incertains donnés à l’ARC. Ces règles s’appliqueraient si une société doit produire une déclaration de revenus canadienne pour l’année d’imposition en question, que la valeur comptable de ses actifs était d’au moins 50 millions de dollars à la fin de son dernier exercice et que la société ou une société liée a des états financiers vérifiés reflétant une incertitude relativement à l’impôt sur le revenu canadien à payer par la société pour l’année d’imposition.

  

  

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Chapitre 4

Les bulletins FiscAlerte – Canada récents

Nos bulletins FiscAlerte traitent des nouvelles, événements et changements législatifs de nature fiscale touchant les entreprises canadiennes. Ils présentent des analyses techniques sommaires vous permettant de rester bien au fait de l’actualité fiscale.

FiscAlerte – Canada

FiscAlerte 2022 numéro 27 – Budget de l’Ontario de 2022‑2023

FiscAlerte 2022 numéro 28 – Points saillants du rapport sur le programme de la procédure amiable de 2020 de l’ARC
Le 4 mars 2022, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a publié son rapport sur le programme de la procédure amiable (« PA ») pour l’année civile terminée le 31 décembre 2020. Le rapport fournit un sommaire des activités du programme de la PA, y compris des analyses statistiques des cas achevés et en cours, et aborde les cas de double imposition ou d’imposition non conforme aux dispositions d’une convention fiscale bilatérale.

FiscAlerte 2022 numéro 29 – Règles d’asymétrie hybride proposées
Le 29 avril 2022, le gouvernement fédéral a publié des propositions législatives préliminaires ainsi que des notes explicatives connexes (collectivement appelées « règles d’asymétrie hybride ») pour s’attaquer à certains dispositifs hybrides.

FiscAlerte 2022 numéro 30 – Élargissement temporaire de la passation en charges immédiate
Le 28 avril 2022, le projet de loi C-19, Loi no 1 d’exécution du budget de 2022, a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes. Le projet de loi C-19 met en œuvre les mesures comprises dans l’avis de motion de voies et moyens détaillé déposé le 26 avril 2022 et contient certaines mesures fiscales annoncées dans les budgets fédéraux de 2022 et de 2021, ainsi que diverses autres mesures.

FiscAlerte 2022 numéro 31 – Le gouvernement fédéral propose un crédit d’impôt à l’investissement pour le CUSC
Le budget fédéral de 2021 proposait un crédit d’impôt à l’investissement à l’intention des entreprises qui engagent des dépenses admissibles liées au captage, à l’utilisation et au stockage du carbone (« CUSC ») dans le cadre du plan global du gouvernement fédéral visant à atteindre zéro émission nette d’ici 2050. Le 7 juin 2021, le ministère des Finances a lancé des consultations auprès des intervenants. EY a participé à la période de consultation, qui a pris fin le 2 décembre 2021.

FiscAlerte 2022 numéro 32 – Budget du Nunavut de 2022-2023

Résumé

Pour plus d’information sur les Services de fiscalité d’EY, veuillez nous visiter à https://www.ey.com/fr_ca/tax. Vous pouvez nous transmettre par courriel vos questions ou commentaires relativement au présent bulletin à questions.fiscales@ca.ey.com. Suivez-nous sur Twitter : @EYCanada.

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Par EY Canada

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