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La Cour d’appel fédérale rejette l’appel de la Couronne dans l’affaire Cameco portant sur les prix de transfert

Personne-ressource locale

EY Canada

7 juill. 2020
Objet FiscAlerte
Catégories Fiscalité
Pays et territoires Canada

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FiscAlerte 2020 numéro 40, 7 juillet 2020

Le 26 juin 2020, la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a rendu sa décision dans l’affaire Canada c. Cameco Corporation, 2020 CAF 112, un appel interjeté contre la décision rendue en septembre 2018 par la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») dans Cameco Corporation c. La Reine, 2018 CCI 195. La CAF a confirmé la décision de la CCI en faveur de la contribuable et, ce faisant, a fait état d’une interprétation succincte des dispositions de requalification des prix de transfert de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

Faits

Au cours des années d’imposition en cause (2003, 2005 et 2006), Cameco Corporation (« Cameco ») était l’un des plus grands producteurs d’uranium et des plus importants fournisseurs de services de conversion au monde. Avant sa réorganisation, Cameco possédait des mines d’uranium en Saskatchewan et des installations de raffinage et de conversion d’uranium en Ontario. La filiale américaine de Cameco détenait des mines d’uranium aux États-Unis.

À la fin des années 1990, Cameco Europe S.A. (filiale européenne de Cameco, « CESA/CEL »), Cogema (société d’État française productrice d’uranium et concurrente), Nukem Inc. (opérateur américain sur le marché de l’uranium) et Tenex (entreprise d’uranium russe) avaient conclu une entente avec le gouvernement russe visant l’achat d’une certaine quantité d’uranium hautement enrichi (« entente Tenex »). Par suite de cette entente, la filiale européenne de Cameco avait conclu une entente avec Urenco Limited en vue d’acheter une certaine quantité d’uranium naturel (« entente Urenco »).

Au cours de la même période, Cameco a procédé à une réorganisation, notamment en constituant une filiale suisse. Après la réorganisation, le groupe Cameco comptait trois entités principales : l’entité canadienne, qui poursuivait l’exploitation des mines d’uranium et des installations de conversion au Canada ainsi que la prestation de services de soutien administratif à d’autres entités Cameco; CESA/CEL, entité suisse qui jouait le rôle d’opérateur pour le groupe, achetant et vendant de l’uranium à la Russie et aux sociétés affiliées canadiennes et américaines; et Cameco US, organe de commercialisation responsable de la vente de l’uranium à des tiers en vue de son utilisation dans des réacteurs nucléaires. 

Pendant la période en question, CESA/CEL avait deux employés pour accomplir les tâches, dont celle de conclure de 20 à 25 nouveaux contrats sur l’uranium par année. Cameco fournissait des services administratifs à CESA/CEL, dont la gestion des contrats sur l’uranium de CESA/CEL, de l’aide pour établir les prévisions du marché, des services juridiques, des services relatifs aux ressources humaines, des services financiers ainsi que des services de tenue de comptes et de comptabilité. En outre, Cameco et CESA/CEL avaient conclu divers contrats relativement à la livraison d’uranium. De 1999 à 2001, CESA/CEL avait conclu neuf ententes à long terme avec Cameco. En vertu de ces ententes, qui utilisaient pour la plupart le modèle d’établissement des prix en fonction d’un prix de base indexé, CESA/CEL devait recevoir de l’uranium de Cameco. De plus, de 1999 à 2006, CESA/CEL et Cameco avaient conclu vingt-deux ententes, qui utilisaient un prix fixe ou établissaient un prix en fonction du marché, visant la livraison d’uranium à Cameco à une date précise ou selon un délai de livraison à court terme. 

Le ministre avait établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante pour les années d’imposition 2003, 2005 et 2006 ayant pour effet d’augmenter le revenu de Cameco en y incluant tous les bénéfices de CESA/CEL. Il se fondait premièrement sur la doctrine du trompe-l’œil, et deuxièmement sur les alinéas 247(2)b) et d) de la LIR pour requalifier les opérations sur la prémisse que Cameco, en tant que personne sans lien de dépendance, n’aurait pas conclu les opérations avec CESA/CEL. Troisièmement, le ministre s’est appuyé sur les alinéas 247(2)a) et c) de la LIR pour modifier le prix des opérations. Les nouvelles cotisations ont augmenté le revenu de Cameco de près de 483 millions de dollars pour les trois années en litige.

Décision de la Cour canadienne de l’impôt

En septembre 2018, la CCI s’est prononcée en faveur de Cameco, accueillant ainsi l’appel de la contribuable. Ce faisant, la CCI a conclu qu’aucune opération ou entente ni aucun événement en litige n’était un subterfuge, jugeant que rien ne donnait à penser que les contrats conclus entre les parties ne représentaient pas leurs véritables intentions. Elle a décidé d’annuler les redressements des prix de transfert effectués par le ministre en vertu de l’article 247 de la LIR pour chacune des années d’imposition en question, concluant que la série d’opérations n’était pas commercialement irrationnelle, de sorte que le critère énoncé au sous-alinéa 247(2)b)(i) n’était pas rempli et qu’en conséquence, la règle de requalification prévue à l’alinéa 247(2)b) ne s’appliquait pas. La CCI a également statué que les prix que la contribuable avait facturés pour l’uranium livré au cours des années d’imposition visées se situaient tout à fait dans la fourchette de prix de pleine concurrence et que, par conséquent, aucun redressement des prix de transfert n’était justifié en vertu des alinéas 247(2)a) et c).

Décision de la CAF

La CAF a rejeté l’appel de la Couronne interjeté contre la décision de la CCI.

Dans cet appel, la Couronne n’a pas remis en cause le rejet par la CCI de l’argument de subterfuge et n’a pas remis directement en question les conclusions de fait de la CCI concernant les prix des opérations. La Couronne s’est plutôt grandement limitée à contester les conclusions de la CCI concernant les dispositions de requalification prévues aux alinéas 247(2)b) et d) de la LIR.

L’alinéa 247(2)b) de la LIR énonce les deux conditions à respecter pour que la disposition de requalification prévue à l’alinéa 247(2)d) s’applique :

b) les faits suivants se vérifient relativement à l’opération ou à la série :

(i) elle n’aurait pas été conclue entre personnes sans lien de dépendance,

(ii) il est raisonnable de considérer qu’elle n’a pas été principalement conclue pour des objets véritables, si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal.

Si ces conditions sont respectées, alors l’alinéa 247(2)d) permet au ministre de redresser les montants déterminés des opérations en question de façon à ce « qu’ils correspondent à la valeur ou à la nature des montants qui auraient été déterminés si (…) l’opération ou la série conclue entre les participants avait été celle qui aurait été conclue entre personnes sans lien de dépendance, selon des modalités qui auraient été conclues entre de telles personnes ».

Les parties et la CAF ont mis l’accent sur la première condition du sous-alinéa 247(2)b)(i). La CAF a formulé la question clé comme étant celle « de savoir si l’opération ou la série d’opérations aurait été conclue par des personnes sans lien de dépendance (un critère objectif fondé sur des personnes hypothétiques), et non sur la question de savoir si le contribuable donné aurait conclu l’opération ou la série d’opérations en cause avec une partie sans lien de dépendance (un critère subjectif) ». En répondant à cette question sur le plan de l’interprétation, la CAF a conclu succinctement que « [l]e sous-alinéa 247(2)b)(i) de la [LIR] s’applique lorsqu’une personne sans lien de dépendance n’aurait pas conclu l’opération ou la série d’opérations en cause, et ce, peu importe les modalités. Dans le cas où des personnes sans lien de dépendance auraient conclu l’opération ou la série d’opérations donnée en cause, mais selon des modalités différentes, alors les alinéas 247(2)a) et c) de la [LIR] seraient applicables ».

Répondant à la question pour ce qui est de Cameco, la CAF a confirmé la décision de la CCI, jugeant que « [r]ien ne permet de conclure que des parties n’ayant aucun lien de dépendance n’auraient pas acheté ou vendu de l’uranium ni transféré entre elles les droits d’acheter de l’uranium auprès de Tenex ou d’Urenco ». En tirant sa conclusion, la CAF a mentionné les Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (les « principes applicables en matière de prix de transfert ») publiés par l’OCDE en 2010 sur lesquels elle s’est appuyée. La CAF n’a fait référence à aucune des modifications apportées aux principes applicables en matière de prix de transfert depuis 2010.

Malgré sa conclusion voulant que les conditions du sous-alinéa 247(2)b)(i) n’étaient pas respectées, la CAF a également examiné l’application de l’alinéa 247(2)d) qu’a fait valoir la Couronne. Elle a déterminé que lorsque les conditions préalables de l’alinéa 247(2)b) sont respectées :

« Selon l’alinéa 247(2)d) de la [LIR], la Cour doit remplacer l’opération ou la série d’opérations conclue entre les participants par l’opération ou la série d’opérations qui aurait été conclue par des personnes sans lien de dépendance. Il porte sur le remplacement de l’opération ou la série d’opérations par une autre opération ou série d’opérations. Il ne porte pas sur la suppression de l’opération ou la série d’opérations sans la remplacer, ce qui correspond au résultat avancé par la Couronne, au paragraphe 4 de son mémoire : [traduction] “Cameco Canada n’aurait pas conclu d’opérations avec sa filiale suisse si elles n’avaient eu aucun lien de dépendance”. Traiter Cameco comme si elle n’avait pas conclu d’opération avec CEL reviendrait, en effet, à ne pas tenir compte de l’existence distincte de CEL ou à effectivement amalgamer CEL et Cameco. »

La CAF a souligné que « [s]i l’interprétation de la Couronne est juste, alors, dès lors qu’une société au Canada souhaite exploiter une entreprise dans un pays étranger par l’intermédiaire d’une filiale étrangère, la condition du sous-alinéa 247(2)b)(i) de la [LIR] serait respectée. Comme la société souhaite exploiter une entreprise dans ce pays étranger seule ou par l’intermédiaire de sa filiale, elle ne vendrait pas son droit d’exploiter une telle entreprise à un tiers sans lien de dépendance ». La portée de l’interprétation de la Couronne a mené la CAF à par ailleurs affirmer qu’elle ne correspondait pas à l’intention du législateur.

En résumant la question de la requalification, la CAF a souligné que « les règles énoncées aux alinéas 247(2)b) et d) de la [LIR] ne sont pas aussi générales que le prétend la Couronne. Elles ne permettent pas au ministre de réaffecter simplement tous les profits d’une filiale à l’étranger à sa société mère canadienne en tenant pour acquis que la société canadienne n’aurait conclu aucune opération avec sa filiale à l’étranger si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance ».

Enfin, la CAF a brièvement rejeté l’argument subsidiaire de la Couronne concernant la tarification des opérations en vertu des alinéas 247(2)a) et c), concluant que cette approche était une remise en cause des conclusions de fait de la CCI, que la Couronne n’a pas portées en appel. 

La Couronne a jusqu’au 25 septembre 2020 pour demander l’autorisation d’appeler de la décision à la Cour Suprême du Canada (bien que cette date puisse être reportée selon le projet de loi concernant des mesures liées à la pandémie de COVID-19).

Incidences

Voici les points que les contribuables canadiens devraient retenir de cette décision :

  • Le régime canadien applicable aux sociétés étrangères affiliées poursuit un objectif légitime de permettre aux sociétés canadiennes d’exercer des activités à l’extérieur du Canada d’une façon efficace sur le plan fiscal, et les contribuables ont droit de structurer leurs affaires dans le cadre de ce régime sans déclencher de conséquences défavorables.
  • Les dispositions de requalification prévues aux alinéas 247(2)b) et d) ne s’appliqueront pas aux arrangements du contribuable qui sont commercialement rationnels et surtout lorsque rien n’empêche la détermination d’un prix de transfert, même si la structure particulière utilisée a un objectif d’ordre fiscal.
  • Pour déterminer en vertu de l’alinéa 247(2)b) si des parties sans lien de dépendance auraient conclu une opération, il faut se référer à des personnes sans lien de dépendance en général plutôt qu’aux participants particuliers à une opération.
  • Dans le cas où l’alinéa 247(2)d) s’applique, il incombe au ministre de remplacer les modalités de pleine concurrence par l’opération qui, selon lui, aurait été conclue entre personnes sans lien de dépendance, plutôt que de ne pas les remplacer du tout en présumant qu’aucune opération n’aurait été effectuée.

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