EY - Canada flag amongst office buildings

Le ministère des Finances lance des consultations sur la règle générale anti-évitement et publie un document connexe

Personne-ressource locale

EY Canada

16 août 2022
Objet FiscAlerte
Pays et territoires Canada

Afficher les ressources

FiscAlerte 2022 numéro 38, 16 août 2022

Le 9 août 2022, pour faire suite à son engagement annoncé initialement dans l’Énoncé économique de l’automne de 2020 et réitéré dans les budgets fédéraux de 2021 et 2022, le ministère des Finances a lancé des consultations publiques sur la règle générale anti-évitement (la « RGAE ») dans le but de moderniser la RGAE prévue dans la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). Le ministère des Finances souhaite obtenir des points de vue et accepte les représentations écrites des Canadiens sur son document de consultation, Moderniser et renforcer la règle générale anti-évitement, qui propose différentes approches pour prévenir la planification fiscale abusive.

Les intervenants et le grand public ont jusqu’au 30 septembre 2022 pour fournir leur rétroaction, qui sera prise en compte, ainsi que l’analyse des responsables du ministère, dans le but d’éclairer les décisions stratégiques visant à atteindre l’objectif global d’accroître l’équité et l’intégrité du régime fiscal, initialement décrit dans l’Énoncé économique de l’automne de 2020.

Parmi les solutions suggérées pour régler les questions soulevées, mentionnons l’imposition d’une pénalité fondée sur un pourcentage de l’avantage fiscal refusé, des modifications aux paragraphes 245(3) et (4) de la LIR pour élargir la définition d’« opération d’évitement » ainsi que l’apport de précisions sur la façon de déterminer s’il y a eu un évitement fiscal abusif, notamment la question de savoir si le fardeau de la preuve doit être renversé.

Contexte

Depuis son instauration en 1988, la RGAE s’est avérée être un outil raisonnablement efficace pour prévenir et contester les opérations abusives d’évitement fiscal. De manière générale, en appliquant la RGAE prévue à l’article 245 de la LIR, le ministre du Revenu national (le « ministre ») peut refuser un avantage fiscal obtenu à la suite d’une opération d’évitement (ce qui comprend aussi une opération effectuée dans le cadre d’une série d’opérations) dont il est raisonnable de considérer qu’elle a entraîné, directement ou indirectement, un abus dans l’application des dispositions de la LIR ou un abus dans l’application de ces dispositions lues dans leur ensemble. Toutefois, aux termes du paragraphe 245(3) de la LIR, une opération ne constituera pas une opération d’évitement s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable. Comme pour tout différend fiscal, le contribuable a généralement le fardeau de réfuter les hypothèses factuelles qui appuient la cotisation. Toutefois, dans le cas de l’évitement fiscal abusif, l’approche judiciaire actuelle consiste à imposer au ministre le fardeau d’établir qu’il y a eu un abus. En 2005, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu son premier arrêt portant sur la RGAE, Trustco Canada1, lequel a établi un cadre d’analyse qui a depuis été suivi. Depuis, la CSC a rendu cinq arrêts liés à la RGAE, dont deux dans lesquels elle a conclu que la RGAE ne s’appliquait pas2.

Depuis l’instauration de la RGAE, une jurisprudence croissante a été établie au fil des ans, et le ministère de Finances a reconnu que la RGAE a été appliquée avec succès dans une proportion importante d’affaires3. Dans son document de consultation, le ministère des Finances cerne plusieurs enjeux précis liés au cadre actuel la RGAE et présente des approches possibles pour régler les questions soulevées. Plus particulièrement, le ministère reconnaît dès le départ que l’un des objectifs initiaux de la RGAE, soit celui de réduire le besoin d’appliquer des mesures fiscales complexes et précises, n’a pas été atteint. Parmi les approches possibles pour mettre à jour la RGAE, il est notamment proposé d’imposer une pénalité, d’élargir la notion d’« opération d’évitement » et de renverser le fardeau de la preuve pour qu’il incombe au contribuable de démontrer qu’il n’y a pas eu d’évitement fiscal abusif.

Les consultations ont été lancées, et le document publié, dans le cadre des efforts du ministère des Finances visant à améliorer l’intégrité du régime fiscal canadien4, ainsi qu’à la suite (ce qui est peut-être une coïncidence) du plus récent arrêt portant sur la RGAE rendu par la CSC, où cette dernière a donné raison au contribuable5.

Enjeux soulevés

Le ministère des Finances a cerné 5 enjeux à l’égard desquels il pose 15 questions de consultation précises, qui sont toutes expliquées en détail dans le document6. Même si le ministère espère aussi recevoir des commentaires sur d’autres questions liées à la RGAE, les approches optimales pour régler les questions soulevées et moderniser efficacement la RGAE sont énoncées aux fins de la consultation.

Les enjeux soulevés sont les suivants :

  1. Un avantage fiscal n’a pas été trouvé dans tous les cas appropriés.
  2. La RGAE ne parvient pas à empêcher l’évitement fiscal abusif dans le contexte d’une opération à objet mixte.
  3. Il peut être difficile de déterminer l’objet et l’esprit d’une disposition de la LIR afin de déterminer s’il y a eu un abus.
  4. La RGAE ne tient pas suffisamment compte de la substance économique des opérations.
  5. La RGAE n’a pas un effet suffisamment dissuasif à l’égard de la planification fiscale abusive.

Approches proposées pour régler les questions soulevées

Définition d’« avantage fiscal »

Bien que le ministère des Finances ne propose pas de changements précis pour régler la première question relative au volet « avantage fiscal » de la RGAE, il a reconnu qu’il craignait que le concept d’« avantage fiscal » soit interprété de façon trop restrictive et a signalé qu’il souhaitait recevoir des commentaires quant à la nécessité d’apporter ou pas des modifications à la définition de ce terme afin qu’elle s’applique convenablement. Il convient de noter que, le 9 août 2022, le ministère des Finances a publié des propositions législatives visant à élargir la définition d’« avantage fiscal » pour faire en sorte que la RGAE s’applique aux opérations ayant une incidence sur des attributs fiscaux qui ne sont pas encore à prendre en compte pour le calcul de l’impôt7.

Modifications à la définition d’« opération d’évitement »

En ce qui concerne le deuxième enjeu soulevé dans le document, le ministère a cerné, aux fins de consultation, des modifications à la définition d’« opération d’évitement » prévue au paragraphe 245(3) de la LIR, notamment une modification visant à préciser ce qui ne doit pas être considéré comme un objet véritable. De façon générale, une opération dont découle un avantage fiscal n’est pas assujettie à la RGAE s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables. À la suite d’un examen attentif des décisions rendues par les tribunaux depuis 2005, le ministère des Finances a constaté que, dans environ 29 % des affaires, le ministre avait échoué à faire appliquer la RGAE, puisque les tribunaux avaient statué qu’il n’y avait pas eu d’opération d’évitement. Ainsi, le ministère des Finances souhaite obtenir des commentaires du public sur la question de savoir si le seuil voulant que l’opération soit « principalement » effectuée pour des objets véritables est approprié et si certains objets, comme l’évitement fiscal étranger, devraient être considérés comme des objets véritables autres que des objets fiscaux. Il est notamment proposé dans le document de prévoir, dans la définition d’« opération d’évitement », des exclusions explicites de ce qui peut être considéré comme un « objet véritable ».

Il est également proposé d’élargir la définition d’« opération » au paragraphe 245(1) de la LIR pour inclure explicitement les choix effectués par un contribuable ou les opérations comportant un élément important de planification fiscale. Par exemple, cela pourrait inclure le choix d’effectuer une opération d’une façon particulière, même lorsque ce choix est fait dans le contexte d’une plus grande décision commerciale. Même si le ministère des Finances reconnaît qu’au moment d’adopter une telle approche, il faut tenir compte du principe établi il y a longtemps dans l’arrêt Duke of Westminster, selon lequel les contribuables ont le droit de choisir d’organiser leurs affaires de manière à réduire au minimum l’impôt, il soutient dans le document de consultation que ce droit ne devrait être préservé que lorsque ces choix n’entraînent pas un abus dans l’application des règles fiscales. Ces propositions auraient pour effet d’accroître l’importance accordée au dernier critère à l’application de la RGAE, soit celui de l’abus.

Il est également envisagé d’abaisser le seuil du critère de l’objet. Selon le ministère des Finances, un seuil plus bas aiderait à régler un certain nombre de problèmes, notamment la difficulté inhérente de classer ou de quantifier les divers objets sous-jacents à une opération contestée. Il est également envisagé de modifier la définition d’« opération d’évitement » afin qu’elle s’applique lorsque l’« un des principaux objets » ou même l’« un des objets » de l’opération ou de la série d’opérations consiste à obtenir un avantage fiscal (plutôt que de tenir compte de l’objet principal).

Modifications au paragraphe 245(4) de la LIR

En ce qui concerne le troisième enjeu, le ministère des Finances envisage différentes solutions, notamment pour résoudre des difficultés perçues quant à la détermination de l’existence d’un mécanisme général dans la LIR lue dans son ensemble, ainsi que la question de savoir à quelle partie il incombe de prouver la présence (ou l’absence) d’évitement fiscal abusif. Comme une méthode d’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée est au cœur de l’analyse en vertu du paragraphe 245(4) de la LIR8, la jurisprudence met en lumière les difficultés relatives à l’importance devant être accordée aux aides extrinsèques et aux inférences fondées sur le texte et le contexte législatifs. Ainsi, le ministère des Finances se penche sur plusieurs solutions à cette importante question d’interprétation, notamment un renversement du fardeau de la preuve, lequel incombe actuellement à la Couronne. Dans un tel scénario, il incomberait aux contribuables de démontrer que l’avantage fiscal recherché est conforme à l’objet et à l’esprit des dispositions à l’égard desquelles un abus est allégué, ce qui éliminerait vraisemblablement l’approche actuelle adoptée par les tribunaux, qui considèrent que la RGAE n’est pas applicable si le ministre n’est pas en mesure d’identifier clairement un abus dans l’application de la LIR et qui accordent le bénéfice du doute au contribuable. En outre, le ministère des Finances énumère d’autres possibilités, comme l’inclusion de préambules et d’énoncés d’objet dans la loi elle-même ou le fait de mettre davantage l’accent sur les énoncés d’objet dans les aides extrinsèques. Ces propositions peuvent être peu pratiques et difficiles à appliquer, particulièrement pour le législateur, mais le ministère des Finances soutient qu’elles ne sont pas impossibles à mettre en œuvre. Le ministère fournit l’exemple simple des règles anti-évitement spécifiques qui sont souvent ajoutées à la LIR et qui pourraient également prévoir des énoncés d’objet utiles pour aider à préciser l’objet et l’esprit d’une disposition semblable et, élément encore plus important, les mécanismes généraux de la LIR.

Autre fait à noter, le document soulève une crainte que l’approche unique et unifiée adoptée à l’égard de l’analyse des abus dans les arrêts Trustco Canada9 et Mathew10 et plus récemment dans l’arrêt Alta Energy11 a indûment affaibli la pertinence des considérations relatives aux politiques générales de la LIR dans le cadre de l’analyse aux fins de la RGAE. Le ministère des Finances examine donc la possibilité d’apporter de nouvelles modifications au paragraphe 245(4) de la LIR afin que lesdites politiques générales de la LIR se voient conférer un poids approprié, même s’il est impossible d’identifier un abus dans l’application de dispositions spécifiques. L’amélioration du processus d’interprétation en vertu du paragraphe 245(4) fait partie des solutions proposées pour régler cette question, mais des commentaires sont demandés sur les meilleures façons d’obtenir le résultat voulu.

Substance économique des opérations

Le quatrième enjeu soulevé aux fins de consultation concerne la crainte du ministère des Finances qu’un poids insuffisant ait été conféré à la substance économique des opérations contestées. Dans le document, le ministère des Finances indique qu’en raison de l’arrêt Trustco Canada de la CSC, les tribunaux hésitent à appliquer un critère de « substance économique » lorsqu’ils déterminent si une opération d’évitement constitue un abus dans l’application d’une disposition de la LIR. Cette inquiétude liée à l’application de la RGAE sous sa forme actuelle découle de la conclusion de la CSC selon laquelle les opérations ne peuvent pas être jugées comme abusives simplement parce qu’elles sont dépourvues de substance économique. Selon le ministère des Finances, le rôle limité accordé à la substance économique dans l’analyse aux fins de la RGAE est insatisfaisant sur le plan de la politique. Le ministère demande donc des commentaires sur la meilleure façon de régler cette question. À son avis, il conviendrait de simplement ajouter une règle de substance économique explicite à la RGAE, soit en l’intégrant au paragraphe 245(3) ou (4) de la LIR ou en instaurant une règle de présomption distincte. Il a également été proposé de prévoir des conséquences lorsqu’une opération est dépourvue de substance économique. Ces conséquences seraient déterminées en fonction des autres modifications proposées à la RGAE, puisque les solutions proposées pour plusieurs des enjeux soulevés sont interreliées.

Imposition d’une pénalité

Le dernier enjeu soulevé concerne l’efficacité – ou le manque d’efficacité perçu – de la RGAE pour empêcher l’évitement fiscal abusif. Parmi d’autres solutions plus générales, le ministère des Finances a proposé d’instaurer une pénalité fondée sur un pourcentage de l’avantage fiscal lorsque la RGAE est appliquée. Le document de consultation présente diverses options, comme des pénalités automatiques ou circonstancielles. Même s’il reconnaît que chaque type de pénalité présente des défis, par exemple dans des situations qui comportent des attributs fiscaux inutilisés, le ministère n’envisage pas de mettre en place une pénalité purement discrétionnaire. Il envisage toutefois de prévoir un mécanisme qui offre aux contribuables un moyen de se protéger contre l’application d’une pénalité, un peu comme l’approche adoptée au Québec12. La mise en place d’un mécanisme permettant aux contribuables de divulguer de façon proactive des renseignements suffisants sur leurs opérations à l’Agence du revenu du Canada est une option proposée par le ministère des Finances pour conserver un juste milieu entre le fait de dissuader la planification fiscale abusive et le fait d’imposer des pénalités excessives. À cet égard, le ministère signale que les règles de divulgation obligatoire proposées récemment dans le budget fédéral de 2021 se rapportent étroitement à la consultation. Pour en savoir davantage sur les règles de divulgation obligatoire proposées, consultez le bulletin FiscAlerte 2022 numéro 37, Le ministère des Finances publie des propositions législatives visant des mesures en suspens du budget de 2022, d’EY.

Prochaines étapes

Pour chacun des enjeux décrits ci-dessus, le ministère des Finances propose des solutions sur lesquelles il souhaite recevoir des commentaires. Les Canadiens sont invités à consulter le document et à faire parvenir des représentations écrites à GAAR-RGAE@fin.gc.ca. Les intervenants ont jusqu’au 30 septembre 2022 pour faire part de leurs commentaires sur les approches proposées par le ministère des Finances pour moderniser et renforcer la RGAE actuelle.

Pour en savoir davantage

Pour en savoir davantage sur ce document de consultation et sur le projet du ministère des Finances de moderniser et de renforcer la RGAE, communiquez avec votre conseiller EY ou EY Cabinet d’avocats, ou avec l’un des professionnels suivants :

Montréal

Marie-Claude Marcil
+1 514 879 8208 | marie-claude.marcil@ca.ey.com

Toronto

Daniel Sandler
+1 416 723 0016 | daniel.sandler@ca.ey.com

Calgary

David Robertson
+1 403 206 5474 | david.d.robertson@ca.ey.com

Afficher les ressources


___________________________

  1. Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 (Trustco Canada).
  2. Trustco Canada, supra note 1, et Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49 (Alta Energy). Comme l’a souligné le ministère des Finances, les commentaires formulés dans l’arrêt Fundy Settlement c. Canada, 2012 CSC 14, sur la non-application de la RGAE ont été faits en obiter, et la décision a été favorable à la Couronne dans le cas de l’enjeu technique de la résidence.
  3. L’annexe A du document de consultation présente un tableau de toutes les affaires judiciaires depuis Trustco Canada dans lesquelles il a été conclu que la RGAE ne s’appliquait pas. Parmi un total de 24 affaires, il a été conclu que la RGAE ne s’appliquait pas en raison de l’absence d’un avantage fiscal dans 6 affaires; en raison de l’absence d’une opération d’évitement dans 7 affaires; et en raison d’une absence d’abus dans 11 affaires.
  4. Parmi les autres efforts pour améliorer l’intégrité du régime fiscal canadien, mentionnons l’adhésion du Canada à un plan à deux piliers pour la réforme fiscale internationale dans le cadre du Cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices de l’Organisation de coopération et de développement économiques et du G20 ainsi que des modifications proposées aux règles de divulgation obligatoire du Canada.
  5. Alta Energy, supra note 2.
  6. Consultez l’annexe C du document de consultation.
  7. Pour en savoir davantage, consultez le bulletin FiscAlerte 2022 numéro 37, Le ministère des Finances publie des propositions législatives visant des mesures en suspens du budget de 2022, d’EY.
  8. Mathew c. Canada, 2005 CSC 55 (Mathew), aux par. 41 et 42.
  9. Trustco Canada, supra note 1.
  10. Mathew, supra note 8.
  11. Alta Energy, supra note 2.
  12. Pour en savoir davantage sur l’approche adoptée par Québec, consultez le bulletin FiscAlerte 2021 numéro 14, Québec publie une liste des opérations à divulgation obligatoire, d’EY.

Renseignements sur les budgets : Pour des renseignements à jour sur les budgets fédéral, provinciaux et territoriaux, visitez notre site ey.com/ca/fr/budget.