EY - Canada flag amongst office buildings

La CSC statue que les charges en vertu de la LACC ont priorité

Personne-ressource locale

EY Canada

16 août 2021
Objet FiscAlerte
Pays et territoires Canada

Afficher les ressources

FiscAlerte 2021 numéro 27, 16 août 2021

Le 28 juillet 2021, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu son arrêt dans l’affaire Canada c. Canada North Group Inc., 2021 CSC 30. Dans son arrêt, la CSC a rejeté l’appel interjeté par la Couronne contre une ordonnance rendue en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »), rejetant l’argument selon lequel des charges super prioritaires ordonnées par le tribunal ne pouvaient pas avoir priorité sur la fiducie réputée créée par le paragraphe 227(4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») à l’égard des retenues à la source non versées.

Une mince majorité des juges de la CSC a donné raison à la contribuable : les charges super prioritaires l’emportent sur la fiducie réputée. Dans leurs motifs, ils indiquent qu’une charge super prioritaire ordonnée par un tribunal en vertu de la LACC n’est pas une garantie au sens du paragraphe 224(1.3) de la LIR et que le paragraphe 227(4.1) de cette loi ne crée pas un intérêt à titre de propriétaire sur les biens du débiteur. Dans leurs motifs concordants, d’autres juges ont quant à eux conclu que le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 11 de la LACC permet au tribunal de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées.

Les charges super prioritaires réclamées étaient les suivantes :

i) Une charge administrative d’un montant maximal de 1 000 000 $ en faveur des avocats, du contrôleur et du chef de la restructuration au titre des frais engagés

ii) Une charge de financement de 1 000 000 $ en faveur du prêteur temporaire

iii) Une charge de 150 000 $ en faveur des administrateurs et des dirigeants en vue de les protéger contre les obligations contractées après l’introduction de l’instance en vertu de la LACC

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu, en faveur de la contribuable et de six sociétés liées (collectivement, les « débitrices »), une ordonnance initiale (l’« ordonnance ») conforme aux modalités de la demande, hormis une réduction de 500 000 $ de la charge administrative (aussi appelée « charge au titre des frais administratifs » et « charge relative à l’administration » dans l’arrêt de la CSC). L’ordonnance indiquait (au paragraphe 44) que les charges super prioritaires : « [traduction] ont priorité sur tous les autres privilèges, garanties, fiducies, charges et sûretés, créances de créanciers garantis, d’origine législative […] détenus par quiconque. » De plus, il était précisé (au paragraphe 46) que les charges en question « [traduction] ne sont pas autrement limitées ou compromises de quelque façon que ce soit par […] les dispositions de toute loi fédérale ou provinciale ».

Les débitrices ont ensuite demandé des ordonnances supplémentaires pour prolonger la suspension des procédures et faire augmenter le financement temporaire. L’avocat de Sa Majesté a annoncé que celle-ci s’apprêtait à déposer une requête pour faire modifier l’ordonnance initiale au motif que cette dernière ne reconnaissait pas la priorité de la Couronne sur les retenues à la source non versées. Peu après, la Couronne a déposé sa requête, plaidant que la nature du droit de la Couronne était déterminée par le paragraphe 227(4.1) de la LIR qui, selon la Couronne, créait un intérêt à titre de propriétaire.

La Cour du Banc de la Reine a rejeté la requête de la Couronne au motif que la fiducie créée en application du paragraphe 227(4.1) de la LIR ne conférait pas d’intérêt à titre de propriétaire. Selon elle, la LIR crée plutôt une sorte de charge flottante sur l’ensemble des actifs du débiteur, ce qui permet à ce dernier d’aliéner ses biens sous réserve de la fiducie réputée. Comme ces caractéristiques sont incompatibles avec un intérêt à titre de propriétaire, on ne peut prétendre que le paragraphe 227(4.1) crée un tel intérêt. Par ailleurs, le tribunal de juridiction inférieure a statué que le paragraphe 227(4.1) ne créait pas une garantie qui exige que la fiducie réputée prenne rang devant les charges d’origine judiciaire, la LACC autorisant le tribunal à réaménager l’ordre de priorité par ordonnance. Les charges énumérées dans l’ordonnance étaient essentielles au processus de restructuration, et donc, indispensables au bon fonctionnement du régime de la LACC.

Même si les débitrices avaient déterminé que les actifs au patrimoine étaient suffisants pour payer intégralement Sa Majesté et les bénéficiaires des charges super prioritaires, la Couronne a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel afin d’obtenir des directives de la Cour d’appel quant à la nature de la priorité de Sa Majesté. La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’appel, même si les juges étaient divisés sur la question de savoir si les charges super prioritaires prenaient rang devant la créance de Sa Majesté. La Couronne a ensuite présenté une demande de pourvoi devant la CSC.

Arrêt de la Cour suprême du Canada

La principale question à trancher par la Cour suprême du Canada était celle de savoir si la LACC autorise les tribunaux à constituer des charges super prioritaires ayant priorité sur une fiducie réputée créée en vertu du paragraphe 227(4.1) de la LIR. Par une faible majorité (cinq juges contre quatre), la CSC a statué que l’article 11 conférait la latitude pour ce faire et a rejeté le pourvoi.

Faits et historique judiciaire

Les débitrices voulaient procéder à une restructuration en vertu de la LACC. À leur demande initiale présentée en vertu de la LACC, les débitrices avaient joint un affidavit de l’un de leurs administrateurs pour attester l’existence d’une dette de 1 140 000 $ envers Sa Majesté la Reine pour des retenues à la source et pour la taxe sur les produits et services. Elles réclamaient une série de mesures habituelles, dont une suspension de trente jours de toutes les procédures engagées contre elles, la nomination d’un contrôleur et la création de trois charges super prioritaires (charges qui allaient devenir l’objet du litige).

La majorité des juges de la CSC a conclu qu’il n’y avait pas de conflit entre les dispositions de la LIR et celles de la LACC en cause. Dans les motifs de la décision (du juge en chef Wagner et des juges Côté et Kasirer), la CSC a statué que les charges super prioritaires pouvaient passer devant la fiducie réputée pour deux raisons :

i) Le paragraphe 227(4.1) de la LIR ne crée pas un intérêt à titre de propriétaire sur les biens du débiteur.

ii) Une charge super prioritaire ordonnée par un tribunal en vertu de la LACC n’est pas une garantie au sens du paragraphe 224(1.3) de la LIR.

Dans une décision concordante, les juges Karakatsanis et Martin sont parvenus au même résultat, mais au motif que le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 11 de la LACC permet au tribunal de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées.

Dans une dissidence conjointe, les juges Abella, Brown et Rowe auraient, pour leur part, accueilli l’appel au motif que la fiducie réputée de la Couronne est censée avoir préséance sur toute autre réclamation, y compris les charges super prioritaires accordées en vertu de la LACC. Selon cette opinion dissidente, la fiducie créée par la LIR est censée avoir priorité absolue, malgré l’application de la LACC, et ce, en raison du caractère général du libellé du paragraphe 227(4.1) de la LIR et du fait que, selon la conclusion des juges dissidents, les charges super prioritaires constituent une garantie au sens du paragraphe 224(1.3) de la LIR. Dans une dissidence distincte, le juge Moldaver s’est, quant à lui, dit d’accord, pour l’essentiel, avec l’analyse de ses collègues dissidents, mais il aurait décidé que, selon les dispositions pertinentes de la LACC et de la LIR, l’intérêt de la Couronne a priorité sur les charges super prioritaires et que la portée de l’article 11 de la LACC est, de toute façon, restreinte par le paragraphe 227(4.1) de la LIR.

Incidences

Les précisions que l’arrêt de la CSC apporte au sujet de l’interaction des dispositions de la LACC et de l’intérêt à titre de propriétaire réputé de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées sont bienvenues. Avec cet arrêt, il est maintenant établi en droit qu’un tribunal peut accorder des charges super prioritaires prenant rang avant une garantie accordée à la Couronne sur les biens d’un débiteur fiscal. En définitive, la situation devient plus certaine dans les procédures en matière d’insolvabilité, et les restructurations en vertu de la LACC ont de meilleures chances de réussir.

De nombreuses questions restent néanmoins sans réponse, surtout en raison de la division des juges de la CSC. Bien qu’une mince majorité des juges de la CSC se soit entendue sur la décision finale, quatre séries de motifs ont été rédigées, comportant notamment une interprétation différente de l’intérêt à titre de propriétaire de la Couronne dans deux motifs concordants. Ces questions, et particulièrement celle de la nature de l’intérêt à titre de propriétaire de la Couronne, devront sans doute être étudiées de nouveau dans des décisions à venir.

Pour en savoir davantage

Pour en savoir davantage, veuillez communiquer avec votre conseiller EY ou EY Cabinet d’avocats ou avec l’un des professionnels suivants :

Daniel Sandler
+1 416 943 4434 | daniel.sandler@ca.ey.com

David Robertson
+1 403 206 5474 | david.d.robertson@ca.ey.com

Bhuvana Rai
+1 416 931 3175 | bhuvana.rai@ca.ey.com

Afficher les ressources

Renseignements sur les budgets : Pour des renseignements à jour sur les budgets fédéral, provinciaux et territoriaux, visitez notre site ey.com/ca/fr/budget.