12 min de temps de lecture 2 mai 2024
jeune garçon montrant ses muscles derrière un parapluie bleu

Les investissements étrangers en Europe reculent… mais l'optimisme demeure

Par Marc Lhermitte

Associé, EY Consulting

#FDI | #Europe | #globaleconomics | #creativeindustries | #innovation | #geopolitics | #publicprivate

12 min de temps de lecture 2 mai 2024

Les investisseurs étrangers appellent à une réponse politique pour donner un nouvel élan à l’attractivité du Vieux Continent.

En résumé :

  • Le phénomène de rattrapage post-pandémie des investissements directs étrangers (IDE) s’est arrêté en 2023, le nombre de projets diminuant de 4 % sur un an.
  • La France reste le pays européen le plus attractif, malgré un repli de 5 % des projets. Le Royaume-Uni apparaît en deuxième position (+6 %) de notre classement. L'Allemagne arrive en troisième position, marquée par une baisse de 12 % des projets d’investissement.
  • Les investisseurs considèrent Londres comme la ville la plus attrayante pour les investissements. Paris la talonne.
femme sous un parapluie dans un champ
(Chapter breaker)
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Chapitre 1

L'investissement étranger en Europe s'essouffle

La reprise des IDE en Europe marque le pas

Entamée en 2021, la reprise post-COVID-19 des IDE en Europe a subi un coup d’arrêt : 5 694 projets d'IDE ont été annoncés en Europe en 2023, un nombre en baisse de 4% par rapport à 2022, de 11% par rapport au niveau observé en 2019, juste avant la pandémie, et de 14 % par rapport au record établi en 2017. Le nombre d'emplois créés par les projets d'IDE en 2023 s’inscrit également en baisse (-7%).

Ce ralentissement s’explique assez aisément. Les tensions géopolitiques, notamment le conflit russo-ukrainien ont alimenté les tensions inflationnistes et sapé une croissance économique déjà mise à mal par les multiples ruptures en cours.

Des changements radicaux dans les modes de travail ont également eu un impact sur l'investissement immobilier. Le travail à distance et l'utilisation croissante de la technologie collaborative, combinés à un contrôle renforcé des coûts dans un contexte de marges réduites, ont obligé les investisseurs à revoir leurs stratégies immobilières. De fait, le nombre de sièges régionaux en Europe a chuté de plus de moitié (51%) en 2023.

Le succès de l'Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis a peut-être aussi détourné une partie des investissements de l'Europe vers les États-Unis. De fait, le nombre de projets annoncés par les entreprises américaines en Europe a chuté de 15% en 2023.

Nombre de projets d’investissements étrangers annoncés et d'emplois créés par les IDE en Europe entre 2014 et 2023

Compte tenu de l’augmentation des investissements étrangers dans d'autres régions du monde au cours de la même période, ces chiffres sont de nature à inquiéter les décideurs politiques européens. Les données de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), qui mesure les flux d'investissements étrangers dans le monde, indiquent que si les IDE ont diminué de 20% en Europe, ils ont en revanche augmenté de 2% aux États-Unis, de 8% en Chine et de 17% en Asie en 2023.

Cette perte de vitesse est à mettre en parallèle avec les difficultés économiques de l’Europe. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la croissance économique de la zone euro a nettement décéléré, (+3,4% en 2022 et +0,4% en 2023). L’Europe souffre de la comparaison avec les États-Unis (+2,5%) et l’Asie (+5,6%).

Cette perte d’attractivité pose problème, les investissements étrangers étant des contributeurs essentiels à l'économie européenne, en créant des emplois, en stimulant l'innovation et les exportations. En Allemagne, par exemple, environ 3,9 millions de personnes sont employées par des entreprises étrangères. Au Royaume-Uni, les investisseurs étrangers génèrent 29% de la valeur ajoutée. En France, ils représentent 35% des exportations industrielles totales.

L'Europe a autant besoin d'investissements étrangers que les investisseurs étrangers ont besoin de l'Europe. Les décideurs politiques et les entreprises devraient donc travailler ensemble pour créer les conditions propices à l'épanouissement de l'investissement.
Julie Linn Teigland
EY EMEIA Area Managing Partner

Les investissements étrangers dans le secteur des services diminuent, mais l'industrie manufacturière fait preuve de résilience

Le nombre des projets d'IDE dans les secteurs des logiciels et des services informatiques et des services aux entreprises et aux professionnels – qui, traditionnellement, attirent le plus grand nombre de projets d'investissement en Europe – ont respectivement chuté de 19% et de 27%. Ils souffrent des restrictions budgétaires et d’une diminution des process d’externalisation.

En revanche, les investissements dans le tourisme et la culture ont bondi de 130% en 2023. Le secteur continue sa reprise alors que les consommateurs recommencent à largement dépenser pour les loisirs et les voyages.

10 principaux secteurs accueillant des projets d’investissements étrangers en Europe en 2023

En 2023, l'industrie manufacturière européenne s'est montrée particulièrement résiliente, le nombre de projets d’IDE ne reculant que de 1%. Les entreprises ont maintenu leurs investissements dans le secteur manufacturier pour répondre à la demande des consommateurs. Les efforts continus de réorganisation des chaînes d'approvisionnement et de relocalisation des bases de production en Europe ont également permis de maintenir les niveaux d'investissement dans le secteur manufacturier.

Le flux d'investissements étrangers vers l'Europe est plus sous-jacent que jamais. En plus des moteurs traditionnels de l'investissement, les entreprises étrangères étendent leurs activités en Europe pour relocaliser les chaînes d'approvisionnement, créer des gains d'efficacité et accélérer l'innovation. Cela a créé des poches de forte activité, malgré la tendance générale à la baisse.
Marc Lhermitte
EY Global Lead FDI & Attractiveness

La France stagne, le Royaume-Uni fait mieux que résister et l'Allemagne vacille

Conformément à la tendance observée à l'échelle européenne, l'investissement en France a reculé de 5%. Ceci étant dit, le nombre d'emplois créés par les investissements étrangers a augmenté de 4%. Une hausse qui s’explique en partie par les réformes favorables aux entreprises et par la résilience de l’économie française, en dépit des multiples chocs qui ont récemment frappé le Vieux Continent.

Notre enquête, qui s'appuie sur les informations recueillies auprès de 500 dirigeants d'entreprises, indique que la baisse de l'investissement ne devrait être que temporaire. Interrogés sur les pays les plus attractifs en termes d’investissement, la France arrive en tête, devant l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Dans une Europe en panne, le Royaume-Uni a résisté, affichant une augmentation de 6% des projets d'IDE en 2023. Cette progression efface la baisse de 6% des projets observée l'année précédente. Après une année 2022 marquée par l'incertitude politique, l'inflation élevée et la hausse des prix de l'énergie, les investisseurs ont perçu un certain retour à la stabilité sur les marchés britanniques l'année dernière, les fournisseurs étrangers de logiciels et d'informatique étant particulièrement fidèles à Londres.

En baisse constante depuis le début de la pandémie de COVID-19, le nombre des IDE en Allemagne a une nouvelle fois reculé en 2023 (-12%). Les investisseurs industriels semblent avoir été marqués par le ralentissement de la croissance, les prix élevés de l'énergie et les inquiétudes concernant la sécurité de l'approvisionnement énergétique. Parallèlement, le faible taux de chômage, la complexité de la bureaucratie et les coûts élevés de la main-d'œuvre limitent actuellement la capacité de l'Allemagne à attirer davantage d'entreprises étrangères.

La plupart des investissements étrangers en Europe sont intra-communautaires, réalisés par des entreprises déjà présentes dans un pays européen. En dehors de l'Europe, les principaux pays d'origine des investissements sont les États-Unis (19% des projets), la Chine (5%) et le Japon (3%).

Londres est considérée comme la ville européenne la plus attractive, remportant 32% des suffrages. Elle devance Paris d’une courte tête (31%). Zurich (22%), Munich (20%) et Barcelone (17%) complètent le top cinq.

Des fortunes diverses en dehors des trois premiers

Plusieurs pays d'Europe du Sud et de l'Est ont largement bénéficié de la réorganisation des chaînes d'approvisionnement et de la relocalisation des activités de production des entreprises. Si le nombre de projets manufacturiers a diminué sur l'ensemble du continent, il a en revanche augmenté en Espagne (+7%), en Turquie (+12%), en Pologne (+17%) et en Italie (+18%). Les investissements ont également accéléré en Serbie (+30%), en République tchèque (+70%) et en Hongrie (+70%).

Sans réelle surprise, le conflit entre la Russie et l'Ukraine continue d'avoir un impact sur les investissements dans les pays qui se trouvent à leurs frontières, notamment la Roumanie (-13%), la Finlande (-32%) et les pays baltes tels que la Lettonie (-31%) et la Lituanie (-40%). Malgré sa proximité avec l'Ukraine, les investissements ont bondi en Hongrie, tirés par la belle dynamique du secteur des transports.

Le ralentissement de l'investissement dans les secteurs du numérique et des services aux entreprises a eu un impact sur l'investissement dans les pays qui en avaient fait des atouts. Citons notamment les cas de la Belgique (-8%) et de l’Irlande (-46%).

20 principaux pays d'accueil des investissements étrangers annoncés en Europe en 2023
homme qui saute sur des pierres devant un lac
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Chapitre 2

Les investissements étrangers pourraient reprendre, mais des risques subsistent

A court terme, un rebond des investissements étrangers est clairement envisageable

Malgré le ralentissement observé en 2023, certains signes indiquent que l'investissement pourrait rebondir de manière notable. Une grande proportion (72%) des dirigeants interrogés déclarent que leur organisation prévoit d'étendre ou d'établir des activités en Europe au cours des douze prochains mois, contre 67% l'année dernière. Une proportion similaire (75%) est optimiste quant aux perspectives de l'Europe pour les trois prochaines années.

Part des dirigeants envisageant de s’implanter ou de développer leurs activités en Europe au cours de l’année 2024

Certes, ces prévisions de reprise des IDE traduisent un prochain rattrapage, après une longue période de faible investissement et de conditions économiques difficiles. Qu'il s'agisse de la guerre en Ukraine, de la flambée de l'inflation ou des conditions de financement difficiles, les trois dernières années ont été marquées par de multiples chocs, provoquant un ralentissement voire une annulation des projets d’investissement. Ces risques n'ont pas complètement disparu, mais ils se sont atténués au point que les entreprises se déclarent désormais prêtes à investir à nouveau.

Néanmoins, la prudence reste de mise, le principal moteur de l'investissement étant la réduction des coûts. Fait révélateur, 48% des dirigeants que nous avons interrogés prévoient d'utiliser davantage les chaînes d'approvisionnement régionales, et 45% prévoient de se concentrer sur des projets qui les rapprochent de leurs clients.

De même, les données de notre enquête indiquent que l'extension des sites existants pourrait prendre le pas sur la création de nouvelles installations. Cette éventualité n’est pas rassurante, les nouveaux projets étant essentiels à la dynamique économique européenne et à sa compétitivité mondiale dans des secteurs critiques tels que les sciences de la vie, les véhicules électriques, l'énergie, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs.

Cela dit, l'analyse des données sur l'investissement suggère que seule une petite proportion d'entreprises qui expriment leur appétence pour la relocalisation des chaînes d'approvisionnement le font réellement. Il est peu probable que cela change, car l'inflation élevée en Europe, y compris les coûts de l'énergie et de la main-d'œuvre, a rendu l’investissement en Chine encore plus rentable qu'auparavant pour un certain nombre de fournisseurs. Par conséquent, les relocalisations devraient se concentrer dans les secteurs moins sensibles à la variation des prix et des coûts que les autres.

Les nouveaux investissements devraient se concentrer principalement dans l'innovation et les services à la clientèle, plutôt que dans les chaînes de production. En effet, 55% des organisations ont l'intention d'augmenter leur empreinte en R&D au cours des trois prochaines années, tandis que seulement 35% prévoient d'augmenter leurs investissements de production.

Malgré le récent ralentissement, l'Europe reste une destination d'investissement attrayante à long terme. Mais alors que la concurrence pour les investissements s'intensifie, les dirigeants européens doivent mieux articuler tout ce que le continent a à offrir.
Hanne Jesca Bax
EY EMEIA Markets & Accounts Leader

L'horizon n’est pas encore complètement dégagé

Les investisseurs sont optimistes quant aux perspectives à long terme de l'Europe, estimant que la situation économique devrait progressivement s'améliorer. Selon notre enquête, l'inflation et les taux d'intérêt élevés ne figurent plus qu'en quatrième et sixième place parmi les plus grands risques pesant sur l'attractivité de l'Europe au cours des trois prochaines années. De plus, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, la relative stabilité des grandes économies européennes s’avère être un atout important pour les investisseurs.

Cependant, des risques demeurent. Les dirigeants interrogés considèrent l'augmentation de la « charge réglementaire » comme la plus grande menace pour l'attractivité de l'Europe au cours des trois prochaines années. Rappelons que l'Europe a été pionnière en matière de nouvelles initiatives réglementaires, qu'il s'agisse de la déclaration des émissions de carbone, de la due diligence des chaînes d'approvisionnement, de la protection des données ou de l'utilisation encadrée de l'IA. Dans ce contexte, certains investisseurs craignent que le cadre réglementaire actuel et futur n'étouffe la croissance et l'agilité des entreprises européennes.

Reflétant les inquiétudes suscitées par la crise énergétique de ces deux dernières années, « les prix de l'énergie et les problèmes d'approvisionnement » sont considérés comme la deuxième menace la plus importante pour l'attractivité de l'Europe.

Enfin, en raison de la proximité des élections européennes, de la montée des tensions sociales et du radicalisme politique au niveau local, « l'instabilité politique » en Europe est également un motif d’inquiétudes pour les dirigeants que nous avons interrogés.

Quels sont les principaux risques à horizon trois ans pour l’attractivité de l’Europe ? 

Sécuriser la reprise

L'Europe est en concurrence avec les États-Unis et l'Asie pour attirer les investissements étrangers, de sorte que les décideurs politiques doivent prendre des mesures audacieuses et décisives pour renforcer son attractivité. Un changement profond des politiques publiques au niveau européen et local serait de nature à inciter les dirigeants étrangers à y investir davantage.

Le deuxième épisode de l'enquête sur l'attractivité de l'Europe, qui sera publié le 19 juin 2024, abordera quelques questions clés d’ordre politique :

  • Comment l'Europe peut-elle harmoniser la réglementation pour aider les entreprises à faire face à des législations différentes d'un pays à l'autre et à l'intérieur d'un même pays ?
  • Comment l'Europe peut-elle lever les obstacles les plus immédiats à l'investissement, tels que les coûts élevés d'exploitation et de financement, l'accès limité aux compétences essentielles et la complexité du financement des transitions verte et numérique ?
  • Comment restaurer la confiance dans l'approvisionnement énergétique, tout en maîtrisant les coûts et la transition vers une économie bas carbone ?
  • Dans un contexte de fragmentation des marchés de capitaux, comment faciliter l'accès au capital, en particulier pour les petites et moyennes entreprises ?
  • Comment les gouvernements européens peuvent-ils concevoir des politiques industrielles à long terme qui stimulent leur compétitivité manufacturière ?
  • Méthodologie

    Pour cette 23e édition, cette enquête repose à nouveau sur deux sources :

    1. L'évaluation des IDE en Europe est basée sur l'European Investment Monitor (EIM) d'EY. Cette base de données exclusive d'EY nous permet de suivre les projets annoncés en 2023 dans 45 pays.
    2. Nous analysons la perception des décideurs internationaux sur l'attractivité de l'Europe par le biais d'une enquête en ligne. Cette enquête a été menée par FT Longitude en février et mars 2024 sur la base d'un panel représentatif de 500 répondants.

Ce qu'il faut retenir

En 2023, les projets d’IDE ont reculé en Europe. Une première depuis 2020. En cause : la faible croissance économique, un environnement géopolitique tendu, le retour de l'inflation et la flambée des coûts de l'énergie, entre autres sujets de stress et d’incertitudes pour les investisseurs.

Toutefois, la rationalisation continue des opérations, la relocalisation des chaînes d'approvisionnement, la poursuite des investissements dans l'innovation, entre autres facteurs de croissance, devraient favoriser le rebond des investissements en Europe cette année. A noter, selon notre enquête menée auprès des dirigeants internationaux, la plupart des nouveaux projets devraient se concentrer sur l’extension d’actifs existants plutôt que sur la création de nouveaux sites associés à des industries à fort potentiel telles que les véhicules électriques, les sciences de la vie, les nouvelles technologies et les énergies renouvelables.

A propos de cet article

Par Marc Lhermitte

Associé, EY Consulting

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